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qu’il ne me serve en ce moment que d’une manière confuse, je saurai bientôt le mener à la lumière. Le jardinier qui voit l’arbrisseau verdir ne sait-il pas que les années suivantes le pareront de fleurs et de fruits ? — Que pariez-vous ? reprend Méphistophélès ; celui-là aussi, vous le perdrez encore, pourvu que vous me permettiez de le mener doucement dans mes voies. » La gageure est acceptée : « C’est entendu, tu as toute licence. Détourne cet esprit de sa source première ; mène-le sur ta route, si tu peux le saisir, et fais-le déchoir. Mais sois confondu si tu es obligé d’avouer que l’homme bon, dans l’obscur instinct qui le pousse, a bien conscience du droit chemin. »

Gœthe reprend, en la modifiant, l’idée du pacte, qui formait un des principaux élémens de la vieille légende, mais dont il n’y a point de trace dans le Fragment de 1790, ni dans le Faust primitif. Selon la légende, Méphistophélès devait servir Faust pendant vingt-quatre ans, après lesquels son âme lui appartiendrait. Dans la Première partie de la tragédie, publiée en 1808, la durée du pacte est indéterminée, ou plutôt le pacte se réduit à un pari, proposé par Méphistophélès, tenu par le Seigneur dans la cour céleste, et ensuite par Faust dans son cabinet de travail. Nulle distinction n’est faite, dans la forme du pari, entre la vie présente et la vie future. « Ce qui est au-delà m’inquiète peu, dit Faust à Méphistophélès. Quand tu auras brisé ce monde, que l’autre s’élève sur ses ruines ! C’est cette terre qui est la source de mes joies ; c’est ce soleil qui luit sur mes souffrances. Quand je pourrai prendre congé d’eux, qu’alors arrive ce qui voudra, ce qui pourra ! » C’est ce monde que Faust veut connaître, qu’il veut embrasser par la pensée, par l’action et par la jouissance, qu’il veut absorber en sa personne. Si jamais il se déclare satisfait, s’il vient un moment où la vie n’aura plus rien à lui apprendre, il appartiendra à Méphistophélès ; mais aussi longtemps qu’il lui restera un désir à exprimer, un but à poursuivre, un acte à accomplir, l’Esprit de négation n’aura aucune prise sur lui. « Si jamais je m’étends sur un lit de repos, c’en sera fait de moi. Si tu peux m’induire par des mensonges flatteurs à ce que je me complaise en moi-même, si tu peux me tromper par la jouissance, que mon dernier jour soit venu ! J’en fais le pari. S’il arrive un moment auquel je dise : Demeure, tu es si beau ! Alors tu pourras me jeter dans les fers, et je consentirai à périr. Alors, que la cloche des morts retentisse ! Alors, tu seras libre de ton