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V

Ainsi, à Bizerte et autour de Bizerte, tout est vie et activité féconde. Les maisons se multiplient, la ville s’étend, l’arsenal grandit, la pêche est fructueuse, le chemin de fer de Djedeida donne de gros excédens de recettes ; par quelle étrange contradiction le port, l’un des plus beaux et des plus sûrs du monde, reste-t-il à peu près désert ? Les droits de port et de pilotage n’y sont pas supérieurs à ceux que l’on acquitte pour entrer à Sousse ou à Tunis ; et cependant, si l’on excepte le paquebot de la Compagnie transatlantique qui, une fois par semaine, vient de Marseille et y retourne, celui de la Compagnie italienne Florio Rubattino qui, depuis six mois, touche à Bizerte une fois par semaine, et celui qui fait le service des côtes tunisiennes et algériennes, si l’on excepte encore les bateaux de la Compagnie du Port et ceux qui apportent du charbon et du matériel à l’arsenal ou à la « défense mobile, » l’on est obligé de constater qu’un petit nombre seulement des bâtimens de commerce qui passent en vue du cap Blanc fréquentent le port de Bizerte, et que son trafic ne s’accroît que dans de faibles proportions. La raison en est simple : les bateaux ne viennent pas à Bizerte parce qu’ils n’y trouvent rien à charger, parce qu’ils n’y peuvent pas prendre de « fret de retour. » Il n’est personne, à Bizerte, qui ne parle de cette question du « fret de retour ; » elle n’intéresse pas seulement l’avenir commercial du nouveau port, mais aussi, de la façon la plus directe, la puissance défensive et offensive du port militaire et du camp retranché. Le charbon est, dans les guerres maritimes modernes, l’élément le plus indispensable à toute armée navale ; comme l’Algérie et la Tunisie n’exploitent pas de mines de houille, il est nécessaire d’en constituer à Bizerte d’énormes approvisionnemens. Cent mille tonnes seraient à peine un chiffre exagéré, car, en cas de conflit sur mer, Bizerte pourrait se trouver, pendant de longs mois, séparée de la France. Le charbon de très bonne qualité, qu’exigent les bateaux à grande vitesse, se détériore sous l’action du temps et il faut en renouveler souvent le stock ; un port où de nombreux bâtimens font escale vend constamment et remplace son combustible et, en cas de guerre, la marine s’empare, par voie de réquisition, de la provision des Compagnies de navigation et du commerce