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songé. On le lui a fait remarquer et il a renoncé à régenter le ministre des Finances.

Sa bonne conduite a été exemplaire pendant quelques semaines. Tout d’un coup, il a fait une scène violente au ministre de la Guerre, qui avait eu le tort de renvoyer un officier de son cabinet sans lui demander son assentiment. Cette fois, la prétention était encore plus forte, car il s’agissait d’une question de personne, et d’une personne appartenant à l’entourage immédiat du général André. M. Pelletan, après s’être cru ministre des Finances, s’était cru ministre de la Guerre. Eh ! mon Dieu, pourquoi pas, puisqu’il est ministre de la Marine ? Nous regrettons seulement qu’après avoir eu des dissentimens si vifs avec le général André, il se soit, comme nous l’allons voir, appliqué à lui ressembler par les plus mauvais côtés. Étrange bizarrerie du sort ! Pendant que tous nos autres ministres travaillent peut-être, et, en tout cas, se taisent, nos deux ministres de la Guerre et de la Marine, c’est-à-dire ceux auxquels le recueillement et le silence conviendraient le mieux, sont de véritables moulins à paroles. On ne voit qu’eux ; on n’entend qu’eux. Si l’armée mérite d’être appelée « la grande muette, » elle est bien mal représentée par ses chefs suprêmes. Il est quelquefois fâcheux d’avoir à la tête de certains départemens ministériels des esprits encyclopédiques qui, n’étant fermés à aucune des connaissances humaines, sont prêts à parler sur tout et le font effectivement. Avant l’entrée de M. Pelletan dans le ministère, le général André tenait le record de l’universalité. Il s’était révélé profond philosophe au pied de la statue d’Auguste Comte. Il avait des idées sur l’instruction publique, sur les réformes sociales à opérer, sur le divorce, etc. Tout cela, au surplus, était plus ridicule que dangereux. Mais le danger a commencé à apparaître lorsque le général André, s’abandonnant à son humeur belliqueuse, a prononcé un discours où une puissance étrangère, avec laquelle nous sommes et nous désirons rester en paix, a pu voir une sorte de menace. Elle ne s’en est pas émue, ce dont nous sommes fort aises. Mais il y avait là un exemple à ne pas imiter. M. Pelletan l’a imité aussitôt, et aggravé.

Il était naturel qu’un ministre de la Marine aussi improvisé voulût faire un voyage en mer, et M. Pelletan étant député des Bouches-du-Rhône ne pouvait s’embarquer qu’à Marseille. Dès lors, son voyage était tout tracé : la Corse, la Tunisie. Avec un peu plus de connaissance des hommes, M. Combes aurait prévu l’inconvénient qu’il y avait à laisser M. Pelletan vagabonder ainsi à travers la Méditerranée, mer souriante, mais perfide et sonore, où tant de souvenirs antiques