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L’école à laquelle appartient M. Pelletan a changé tout cela, et on s’en accommode à l’étranger avec plus de facilité que nous ne le faisons nous-mêmes. Nous sommes bien d’avis que les discours d’Ajaccio et de Bizerte n’ont aucune importance, et ce que nous venons d’en dire le prouve surabondamment ; mais on partage à un tel point ce sentiment dans le reste du monde que nous en restons un peu humiliés. Comment n’en pas vouloir à un gouvernement qui nous a fait connaître cette impression désagréable ? Autrefois la parole d’un ministre français avait une portée qu’elle a évidemment perdue, et ce n’est pas une consolation de penser que nous pouvons dire beaucoup plus de choses, quand nous entendons celles que dit M. Pelletan : car il faut bien avouer que, si rien n’est plus déplacé, rien aussi n’est plus banal.

Au lieu de s’indigner contre lui au dehors, on s’en est égayé. Cependant, si quelques-uns de ceux qui ont traité ses propos avec tant d’ironie avaient un peu plus de mémoire, ils se rappelleraient que le cas de M. Pelletan n’est pas unique dans l’histoire contemporaine, et qu’il y a eu ailleurs qu’en France des hommes politiques d’une importance très supérieure à la sienne, des ministres et parfois même des souverains qui, s’ils faisaient leur examen de conscience, n’auraient peut-être pas le droit de lui jeter la première pierre. Il y a, par exemple, en Angleterre un ministre qui n’est pas exempt du même péché que M. Pelletan, et qui un jour, dans une seule phrase, a trouvé le moyen de blesser quatre ou cinq grandes puissances à la fois. Nous en trouverions ailleurs, sans avoir besoin de chercher beaucoup. Mais à quoi bon ? Les torts des autres n’excuseraient pas ceux de M. Pelletan, et nous aimons mieux reconnaître que, bien qu’on y ait mis parfois une nuance de morgue pharisaïque à laquelle nous avons été sensibles, on n’a pas trop abusé contre la France des incartades d’un de ses ministres. On n’en a pas non plus fait supporter la responsabilité au gouvernement tout entier. L’attitude de l’Italie, dans cette circonstance, a été tout à fait conforme aux sentimens qui existent entre elle et nous, et nous en avons été d’autant plus agréablement frappés qu’elle était, en somme, de tous les pays d’Europe, celui qui avait été le premier et le plus directement visé par les maladresses de M. Pelletan. Elle a été aussi celui qui s’en est le moins préoccupé, en quoi elle a eu d’autant plus de mérite que les journaux allemands, autrichiens et anglais n’ont rien négligé pour exciter ses susceptibilités. Il y a même eu quelque chose de piquant à voir ces journaux se montrer, au sujet des menaces oratoires de M. Pelletan, si indifférens pour leur propre pays et, en même temps, si chatouilleux pour