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Le Conseil d’État a été investi de bonne heure de ce qui s’est appelé depuis la révolution juridiction administrative, espèce d’attribution monstrueuse qui porte, comme une foule de nos créations modernes, un caractère vague dans sa définition qui en fait le vice essentiel…

On est encore à savoir, au Conseil même, ce que c’est que cette juridiction, qui, depuis, a été appelée le contentieux administratif. Jamais l’axiome de droit, omnis definitio periculosa, n’a été plus vrai que dans cette machine, dont l’action dépend de la question de savoir ce qui est ou n’est pas de justice administrative… Toute juridiction se compose ordinairement d’espèces… En France, nous avons un tribunal, et c’est le premier ou du moins le plus puissant de tous, qui attire à soi de plein droit tout ce qui est contentieux administratif. Voilà sa juridiction ; on le donne aux plus habiles à la définir. Cette définition n’est point encore trouvée, et le secrétaire du Conseil d’Etat est encore occupé à la chercher.

Quoi qu’il en soit, et comme, par suite de sa jurisprudence, il semble avoir pris pour base que toutes les matières où l’État et les corporations publiques de l’État sont partie entrent dans cette attribution, il en résulte que, dans toute l’étendue de la France, les citoyens sont soustraits à des jugemens vraiment contradictoires, livrés à de véritables commissions, dans une foule de questions qui intéressent leur honneur et leur fortune[1].


Le morceau est vif ; baissons, comme il convient, d’une octave. Nous avons, même devant le Conseil d’Etat statuant en matière de contentieux administratif, des « jugemens contradictoires ; et nous n’y sommes plus « livrés à de véritables commissions. » Les membres du Conseil d’État ne sont plus « des commissaires salariés, qui n’ont d’emploi et de traitement qu’autant qu’ils sont portés sur une liste d’activité dressée chaque trimestre, » et pour lesquels « la complaisance qu’ils montrent pendant les trois mois qui s’écoulent est la mesure et la règle de leur sort dans le trimestre suivant. » Mais le reste subsiste. Le contentieux administratif n’est pas mieux défini en 1902, sous la troisième république, qu’il ne l’était vers 1814, sous le premier empire. Est ou peut être contentieux administratif, du moment que « l’Etat ou les corporations publiques de l’Etat » y figurent en quoi que ce soit, tout ce que le gouvernement veut qui le soit. Exemple : un préfet, par ordre d’un ministre et sous un prétexte quelconque, ferme un immeuble qui m’appartient et y appose des scellés, en dehors des cas prévus et autorisés par la loi. Je me pourvois devant la justice civile, qui me donne raison, donne tort au préfet, et dit que les scellés seront levés.

  1. De l’État de la France sous la domination de Napoléon Bonaparte, par L. A. Pichon, 1 vol. in-8o ; 1814, Dentu, p. 65 à 92.