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odieuse ou ridicule ; et pendant ce temps-là notre législation tourne et tombe chaque jour un peu plus au charabia, au galimatias juridique de l’esprit le plus pauvre et du style le plus plat qui ait rebuté les facultés et les tribunaux, depuis qu’il y a des législateurs et une législation.

Le remède est à portée de la main ; réduire, jusqu’à la supprimer, la juridiction contentieuse du Conseil d’Etat, associer fréquemment et obligatoirement le Conseil à la préparation des lois… Supprimer dans l’article 8 de la loi du 24 mai 1872 la phrase : « et qu’un décret spécial ordonne de soumettre au Conseil d’Etat, » qui resserre trop son rôle législatif ou légisprudent ; et la phrase : « Il exerce en outre toutes les attributions…, » qui étend trop son rôle judiciaire : abroger l’article 9 de la même loi : « Le Conseil d’Etat statue souverainement sur les recours… » Refaire en un mot du Conseil d’Etat un conseil d’hommes d’Etat sur les choses d’État. Y appeler toutes les supériorités, toutes les spécialités, et, par son intervention, par sa collaboration, limiter le parlementarisme dans un de ses plus dangereux travers, la fantaisie d’instinct et d’impulsion, l’incohérence, l’incompétence législative.


Je n’insisterai pas plus longtemps sur la nécessité de débarrasser le Conseil d’Etat du fardeau de sa juridiction contentieuse et de le rendre à sa mission naturelle, parce qu’il y faudrait tout un chapitre et que je ne dois, en ces lignes, qu’esquisser des propositions ; et de même je ne reviendrai pas longuement sur la nécessité de créer en France une Cour suprême, imitée plus ou moins exactement de celle des Etats-Unis, parce que j’en ai développé déjà les motifs, qui sont évidens[1]. Mais je ne puis m’abstenir d’indiquer, — ne fût-ce que pour relier l’une à l’autre les deux réformes, — que la difficulté devant laquelle se sont arrêtés dans le passé les partisans de la suppression de la juridiction administrative du Conseil d’Etat, c’était de savoir à qui la transférer, quels juges saisir des causes de contentieux administratif. Afin de ne pas en surcharger les tribunaux ordinaires, ce à quoi il voyait plusieurs inconvéniens, Cormenin suggérait la pensée d’instituer une Cour de justice ad hoc. Il parlait d’une telle Cour en 1818, quinze ou vingt ans avant la publication de

  1. Voyez la Revue des 15 octobre 1899 et 13 février 1902.