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nécessairement donné à qui n’en possède pas d’autres. L’infanticide est très rare et considéré comme un crime abominable.

Ce qui est particulier, c’est en certaines circonstances l’interprétation très libre de la loi proprement dite quand il s’agit d’appliquer aux femmes la justice. Voici un fait qui m’a été conté au village. Une fille a été livrée par son père à un vieux mari qui l’a payée comme on paye une bête de somme. Sans cesse maltraitée, elle se laisse consoler par un galant qui bientôt après l’abandonne. Elle est grosse et confie sa détresse à une amie. Celle-ci mariée à un mari disparu, libre de ses actes par conséquent ou se croyant telle, assure à la coupable le moyen d’accoucher clandestinement et déclare l’enfant sous son propre nom. Cette déclaration a pour complice et pour témoin le parrain du petit, un voisin qui n’aura rien de plus pressé, craignant sans doute d’être pris dans cette mauvaise affaire, que d’aller la dénoncer. Les accusées comparaissent devant le tribunal ; il semble qu’une sévère condamnation doive être immanquablement prononcée contre elles deux. Bien loin de là ; elles sont acquittées : attendu que la première de ces deux femmes n’a pas cherché à mentir en imposant à son mari un enfant qui n’est pas de lui, et que la seconde a eu pitié d’une malheureuse, péchant surtout en cela par bonté ; que, d’autre part, on voit dans cette aventure un père qui trafique de sa fille, un mari qui l’épouse malgré elle et la brutalise ensuite, un séducteur qui abandonne sa victime et un ami traître, délateur par lâcheté, après avoir trempé dans la fraude. Au nom de la justice véritable, celle qui va au fond des intentions et qui tient compte de la nature, quels sont les plus coupables ? Les hommes, sans aucun doute.

Et cette indulgence pour les faiblesses du cœur ne se borne pas aux classes populaires. Il est vrai qu’un idéalisme dont nous ne pouvons nous faire aucune idée, car il est indépendant de toute morale, rend les liaisons amoureuses peu fréquentes dans de certaines sphères dites intellectuelles, où les jeunes gens des deux sexes sont en contact journalier. Une préoccupation plus forte encore que les entraînemens naturels à leur âge, la poursuite absorbante de la science et de la liberté, les défend d’ordinaire. Mais quand il en est autrement, on n’y attache pas autant d’importance que dans les pays occidentaux. Il semble curieux que ce peuple qui a vécu dans le si proche voisinage