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souffrir que le besoin de porter secours domine, chez elles, tous les autres. Partout elles se heurtent à de tels obstacles ! De là un fond de tristesse habituelle même chez celles qui ont les apparences de la plus vive gaîté. L’Américaine, au contraire, a la sérénité d’un être qui se sent soutenu, dans des ambitions bien fondées, par l’opinion publique et par les lois de son pays.

Les universités transatlantiques, féminines ou mixtes, sont l’objet de l’admiration et de l’envie des jeunes filles russes, moins bien partagées. Peut-être gagnent-elles cependant sous le rapport de l’originalité de l’esprit à n’être pas toutes coulées dans le même moule ; mais, quoi qu’on fît, je crois, elles resteraient elles-mêmes. Il est à remarquer que le fond de l’individualité est rebelle à toute contrainte sur cette terre de l’autocratie. Lisez plutôt les années de jeunesse de Tolstoï, celles de Kropotkine ; vous verrez si les habitudes et les préjugés de leur entourage ont le moins du monde influencé ces deux hommes. Tel ou tel des Tolstoïstes les plus intransigeans sort de l’Ecole des pages de la garde impériale ; et des filles d’officiers supérieurs sont devenues nihilistes. Pourtant l’éducation ne diffère en aucun pays autant qu’en Russie selon la naissance et la condition de chacun.

J’indiquerai rapidement comment sont élevées les jeunes filles dans la noblesse et dans la bourgeoisie.

Les premières passent par les mains de gouvernantes successives appartenant à différentes nationalités. Persuadés comme nous le sommes que les Russes naissent polyglottes, nous éprouvons, une fois arrivés chez eux, quelque surprise à rencontrer tant de gens qui ne parlent que le russe. C’est qu’ils ont appris les langues comme on les apprend chez nous au collège. En tout pays, le précepteur ou l’institutrice est un luxe.

Dans une maison amie où je reçois l’hospitalité à Saint-Pétersbourg, deux enfants, de dix et douze ans, parlent en perfection le français, l’anglais et l’allemand. La petite est déjà musicienne. Elle danse à merveille, j’ai pu en juger par un ballet improvisé de sa composition. Ce qui me frappa surtout fut la pantomime expressive et bien réglée, les groupes charmans dessinés par des enfans qui, jamais encore, n’ont mis le pied à l’Opéra. La danse comme le reste, cette fillette grave et précoce prend tout au sérieux. Jamais je n’ai vu aussi marqué sur un front de cet âge le pli de l’application soutenue, presque