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où le thé est servi dans des tasses dorées, et où se trouvent des friandises à vendre, des journaux, un piano. Un autre piano mécanique fait danser la jeunesse les jours de fête dans la grande salle des machines à coudre reléguées ailleurs pour la circonstance. Mille personnes dont 150 étudiantes, 200 mères et 600 enfans habitent cet asile dont le but est de maintenir dans la famille les liens si souvent relâchés par la misère, de laisser aux mères le droit de veiller sur leurs enfans et d’assurer une protection aux filles qui travaillent. On peut même amener une grand’mère infirme ; le programme est large. Personne n’a de compte à rendre sur ses croyances religieuses, mais tout le monde, ou il s’en faut de peu, fréquente volontairement la jolie église située au milieu de la cour. Les filles d’un côté, les garçons de l’autre, y chantent en chœur.

L’hôpital et la pharmacie occupent un corps de logis séparé. Nous ne voyons qu’un seul patient, soigné par une infirmière en tablier blanc, jusqu’au menton, qui nous dit que chaque année 6 000 malades environ se présentent au dispensaire. Dans la cour passent quelques vraies demoiselles, très jeunes, presque élégantes, qui rentrent un carton ou bien un livre sous le bras. Ce sont des filles de veuves ayant achevé leurs classes au gymnase et qui donnent des leçons en attendant une place d’institutrice primaire. Quelques-unes ont grandi dans la maison, y sont restées quinze ou seize ans, ne se rappellent pas avoir jamais eu d’autre foyer. Si triste que nous paraisse cette collectivité, on ne manque ici de rien d’essentiel. Les étudiantes trouvent en rentrant de l’hôpital, où un tramway les transporte à demi-place, une tasse de café, de l’eau chaude. Quant au règlement, il n’a rien de très sévère : il suffit d’être rentrée à onze heures du soir et de ne jamais recevoir aucune visite d’homme. Les hommes de la famille eux-mêmes ne sont admis qu’au parloir dans le pavillon de la directrice.

Celle-ci, qui a été préparée à sa tâche par les fondateurs, se conforme autant que possible à leurs intentions et entretient pieusement leur souvenir. Elle nous dit qu’un des Liapine venait très souvent dans la maison, qu’il s’y plaisait, s’intéressait à tout. Son frère donnait moins de son temps, mais était prodigue d’argent. Leur sœur inspectait les moindres détails. Les portraits de ces trois bienfaiteurs sont un peu partout dans la maison : des figures de bonté, grasses, épanouies, humaines. Et ils ont créé