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et renouveler ici l’erreur qui fait voir au vulgaire, dans le froid et le chaud, des états objectifs qualitativement opposés.

Le raisonnement qui conduit à supprimer la barrière des deux règnes et à considérer les minéraux comme doués d’une sorte de vie rudimentaire est général. Il est le même qui oblige à supprimer en principe toute barrière entre les phénomènes naturels. Il affirme des transitions non seulement entre le vivant et le non-vivant, mais entre le conscient et l’inconscient. Et c’est, en effet, une autre conséquence de la doctrine leibnizienne, que la conscience individuelle, comme la vie individuelle, est l’expression collective d’une multitude de vies ou de consciences élémentaires, insaisissables à cause de leur infime degré, mais harmonisées, unifiées, intégrées en un effet qui devient manifeste comme « ces bruits de vagues dont aucun ne serait entendu s’il était seul, mais qui, s’ajoutant l’un à l’autre et perçus tous à la fois, deviennent la voix retentissante de l’Océan. »

On est donc amené ainsi, par l’application du principe de continuité, — principe si général qu’il constitue en quelque sorte une forme déterminée de mentalité, — à attribuer a priori à la nature brute toutes les propriétés véritablement essentielles des êtres vivans, sauf à rechercher ensuite, à l’aide de l’observation et de l’expérience, ces propriétés communes. Les molécules ou les atomes, bien loin d’être des masses inertes et mortes, sont, dans cette manière de voir, des élémens actifs, doués d’une sorte dévie inférieure, qui se manifeste par toutes les mutations que l’on observe dans la matière brute ; par les attractions et les répulsions, les mouvemens en réponse à des stimulations extérieures, les changemens d’état et d’équilibre, les modes nouveaux de groupement conformes à des types définis de structure et réalisant des espèces chimiques différentes.

Mais les philosophes sont allés plus loin encore dans la voie des analogies, et ils ont reconnu dans le jeu des forces de la matière brute et particulièrement dans le jeu des forces chimiques un humble rudiment des appétitions et tendances qui règlent, selon eux, le fonctionnement des êtres vivans, et comme me ébauche de leur sensibilité. Les réactions matérielles indiquent à leurs yeux, l’existence d’une sorte de conscience hédonique c’est-à-dire réduite à la distinction du bien-être et du mal-être, à l’appétition du bien et à l’éloignement du mal, qui serait