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Cette estime si entière, pour un homme tel que Fouché, nous aide à comprendre que Benjamin Constant, dans son Journal intime, témoigne peu de sympathie à l’égard de Meister : « un homme, dit-il, dont toute la vie s’est passée avec les philosophes du XVIIIe siècle, et qui leur doit le petit nombre d’idées qu’il a. Avec cela, la faiblesse de son caractère lui fait désirer de ne pas être en opposition avec le torrent du jour. Meister[1] n’a pas assez de valeur pour être philosophe. » C’est à propos des Études sur l’homme dans le monde et dans la retraite (Paris, 1804) et du compte rendu que le Mercure avait fait de ce livre de Meister, que Benjamin Constant maltraite ainsi le vieil ami de Mme de Staël ; il avait eu maintes fois l’occasion de le rencontrer, à Lausanne et à Coppet.

Meister, à soixante ans, n’était pas encore marié. Nous avons déjà parlé d’Ursule Schulthess, de cette idylle au bord du lac, dans les vignes du presbytère, et de son brusque dénouement. On se rappelle qu’Ursule avait épousé le « tribun » Burkli. Un long temps s’était écoulé depuis lors, et l’âge était venu, sans qu’elle eût perdu le don de plaire. Croyons-en le baron de Staël, qui écrivait à Meister en 1794 : « Vous m’avez dit, monsieur, que vous voyez souvent Mme Burkli ; je vous prie de lui faire agréer mes hommages. Je suis enchanté d’avoir fait la connaissance de cette aimable femme, dont l’âme, la tournure et l’esprit, ont tant d’harmonie et de charme. Je fais des vœux sincères pour qu’elle soit toujours heureuse. »

Quelques années après, M. Burkli était mort ; sa veuve était mère de famille et grand’mère, et Meister avait repris avec elle les amicales relations d’autrefois. En la revoyant toujours aimable, il n’avait qu’un seul mot à changer aux vers de Maynard :


Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris,
Et j’ai fidèlement aimé ta belle tête
Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.


Dans une de ses Cinq nouvelles helvétiennes (Paris, 1805), il avait esquissé, en le romançant, le récit de ce qui s’était passé entre elle et lui dans leurs jeunes années. Mme de Staël avait lu et compris ce morceau ; et quand Meister et son amie se furent

  1. L’éditeur du Journal intime de Benjamin Constant a mal lu à cet endroit (page 85) le manuscrit qu’il a reproduit. Au lieu du nom de notre Henri Meister, il a imprimé en effet : De Maistre !