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sans souci des effroyables misères qu’ils déchaînaient ; ils surmenaient et exploitaient les ouvriers impuissans comme des bêtes de somme, à côté desquelles les esclaves antiques et les serfs féodaux menaient une existence enviable. En ce moment, partout où l’industrie est prospère et forte, où, comme aux Etats-Unis et en Australie surtout, elle respire à l’aise et travaille en pleine sécurité, elle trouve dans sa sécurité même les moyens de guérison et les blessures se cicatrisent. Et voici que d’autres plaies apparaissent ; personne ne contestera la frénésie de la spéculation, les dilapidations des oisifs, les pertes causées par les constitutions de sociétés véreuses, les luttes douloureuses de la petite industrie et du petit commerce, les excès du Sweating-System, et, dans les civilisations qui commencent à vieillir, les excès de la concurrence.

Seulement le capital n’est pas plus tel capitaliste oisif, spéculateur ou criminel, que le travail n’est tel ouvrier alcoolique ou fainéant. Si l’existence même du capital est la cause de tous les maux, les collectivistes ont raison de vouloir le supprimer ; mais si l’emploi seul peut être abusif, si l’on peut s’en servir pour le bien comme pour le mal, comme on peut se servir d’un marteau pour enfoncer un clou à la bonne place ou pour assommer une victime, alors il ne faut pas s’en prendre au capital lui-même, et il serait aussi insensé, pour remédier aux abus du régime capitaliste, de détruire le capital, qu’il eût été insensé, de la part des peuplades errantes, de détruire les arcs et les flèches parce que des forts s’en servaient pour, tuer des faibles, ou, de la part des collectivités rurales de familles, de briser les charrues parce que la récolte de blé n’était pas toujours suffisante à l’entretien de tous les compagnons de la Marke.

Est-il d’ailleurs vrai de dire que le capital est devenu un instrument de despotisme, s’emparant de la fabrication et de l’écoulement des produits et asservissant la personne humaine ? Est-il vrai que le capital se dresse devant l’ouvrier sous la forme d’un monstrueux automate qui l’enveloppe et l’étouffe ?

Observons les faits, et le parallélisme que nous avons signalé entre la grandeur de l’individu et celle de l’Etat, nous le retrouvons dans les rapports de l’individu et du capital. Les supériorités individuelles trouvent d’autant plus de débouchés et de chances d’adaptation que le capital trouve plus d’occasions de s’employer.