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effet, le travail est de tous les élémens de la production le seul élément élastique, puisqu’il représente de l’effort humain et qu’on peut à volonté le concevoir plus ou moins intense ; et Marx en profite pour dire hypothétiquement : voici, d’une part, ce qu’il faut à l’ouvrier pour vivre ; voici, d’autre part, le surplus qui va au patron. Toute la théorie marxiste repose sur cette hypothèse. Les ouvriers ayant besoin de six heures de travail par jour pour gagner leur subsistance, le capitaliste les fait travailler plus longtemps, douze heures ou neuf heures, peu importe ; il ne leur paie que le minimum nécessaire à leur existence, soit six heures, et le surplus est du travail non payé dont il profite ; ainsi se forme le bénéfice illégitime du capital.

Tel est donc, si nous négligeons les détails, l’idée maîtresse du socialisme marxiste : le capital s’engraisse de tout ce qui exténue l’ouvrier ; pour fructifier, il exploite le travail manuel et fait travailler l’ouvrier le plus longtemps possible, au moindre prix possible, même gratuitement. L’essence de ce système, c’est d’admettre que la substance de la valeur est du travail manuel ; que la mesure de la valeur est une durée moyenne de travail manuel ; et, enfin, que la plus-value du capital est du surtravail manuel non payé.

Examinons successivement ces trois thèses :

Il est clair d’abord que la substance de la valeur n’est pas uniquement la dépense de force physique ou l’usure de l’organisme physique. Nous venons de voir qu’il y a autre chose dans le travail. Le travail du sauvage se distingue du travail du civilisé en ce que le premier est automatique, et que le second implique une part de volonté intelligente ; tout travail méthodique et régulier a son origine dans la conscience, exige de l’attention, de la réflexion, la connaissance de l’outil et de la machine, de son usage, de son effet utile, et plus l’engin est puissant, plus le raisonnement est nécessaire.

La loi du développement du travail, c’est, dit Fouillée[1], la prédominance progressive du travail mental, et la machine en prenant à elle le travail musculaire laisse de plus en plus à l’ouvrier la possibilité du travail intellectuel. Je ne m’occupe pas

  1. Voyez Fouillée : le Travail mental et le Collectivisme matérialiste, dans la Revue du 1er mai 1900, p. 130 et G. Ferrero : la Morale primitive et l’Atavisme du Délit. Turin, 1896.