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des exceptions, je ne parle ni des ouvrières et des ouvriers qui découpent des boutonnières à l’emporte-pièce sans que le facteur mental y participe, ni des ouvriers électriciens qui sont presque des savans ; je prends la moyenne : je constate que le progrès technique tend à une épargne de force musculaire ; qu’il augmente par conséquent la disponibilité de force mentale ; et que l’intelligence entre en ligne de compte quand il s’agit d’analyser la substance de la valeur.

Et cette intelligence ne doit pas seulement être prise en considération dans l’appréciation du travail manuel, elle se cache dans la machine même qui préside à toute la production ; elle passe dans les vibrations de tous les métiers mécaniques s’agitant avec une rapidité vertigineuse ; la force motrice mise en œuvre pour produire en dix heures de travail manuel 100 kilos de filés dont la façon est payée 3 francs l’heure ou 30 francs, est de la pensée, de la science en action, et celui qui, se promenant dans la filature, ne regarde que les mouvemens apparens, ne peut se faire une idée complète de la substance de la valeur.

Il est clair en second lieu, que, pour mesurer la valeur du travail, il est impossible de prendre comme base d’évaluation une durée normale du travail. Une durée normale moyenne du travail n’existe pas ; on ne rencontre ni deux travailleurs identiques, ni deux jours ou deux heures de travail identiques dans leurs résultats.

Pour créer une moyenne normale de durée de travail, Marx conçoit, dans une industrie donnée, l’heure de travail d’une équipe de dix hommes comme étant partout la même et produisant partout le même effet utile ; elle travaille douze heures, elle a besoin de six heures de travail pour gagner de quoi vivre ; le patron lui paie ces six heures et empoche les six autres. Cette formule algébrique est démentie par la vie économique. Il y a des ouvriers qui font en six heures ce que d’autres font en douze heures ; il y en a qui fournissent en six heures la valeur exacte de six heures de travail. La durée et l’effet utile du travail varient d’abord suivant que l’on est en France, aux Etats-Unis, en Australie, etc. Au lieu d’une durée synthétique du travail, il y a le travail d’un Français, d’un Anglais, d’un Allemand, d’un Chinois. L’ouvrier tunisien dans le même temps produit moins que le travailleur du Soudan ; l’Européen produit moins que l’Américain, et ainsi de suite.