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autorité centralisatrice étant manifeste, les disciples de Marx font une concession ; ils distinguent l’Etat-industriel de l’Etat-gouvernement. Ils laissent aux entreprises économiques une certaine autonomie ; ils en font des corporations publiques indépendantes auxquelles l’autorité distribuera le capital collectif. L’industrie sera décentralisée sous le contrôle d’un gouvernement centralisateur[1].

Les économistes, représentons exclusifs des classes bourgeoises, ont voulu l’émancipation de l’individu par la liberté. Les marxistes, représentans exclusifs du prolétariat, ont voulu l’émancipation des travailleurs par l’Etat. Ils ont les uns et les autres, par des moyens diamétralement opposés, cru atteindre au même idéal : le bonheur des individus[2].

Les disciples de Marx rêvent une collectivité sociale d’égaux ; non pas, la façon de Platon, une collectivité sociale d’intellectuels libres servis par des esclaves manuels ; non pas une élite de non travailleurs servie par une multitude sans intellectualité, mais une collectivité de travailleurs participant tous indistinctement aux travaux matériels et intellectuels.

Seulement une pareille conception est le retour aux formes communautaires primitives à production restreinte. Et qu’est-ce donc qu’une pareille forme ? Est-ce un système administratif faisant régner l’égalité ? Nullement. C’est un état social résultant de formes particulières d’existence ; un bonheur placide et simple ; l’égalité des conditions et des prestations ; un territoire restreint et peu peuplé ; aucune division du travail, aucune circulation des richesses ; l’habitant content de peu, récoltant sans peine, consommant sur place, confectionnant lui-même ses vêtemens, ses outils, construisant lui-même son habitation.

Et si déjà les cadres des formes communautaires ont été trop

  1. Vandervelde, le Collectivisme et l’Évolution industrielle. Bibliothèque socialiste, Paris, 1900.
  2. Écoutons Engels ; ses espérances ne diffèrent pas de celles d’Adam Smith : « La société, en s’appropriant les moyens de production pour les distribuer d’après un plan uniforme, met un terme au régime qui actuellement asservit les hommes à leurs propres moyens de production. — La Société, en se libérant, libère chaque individu. L’ancien système de production, modifié de fond en comble, est remplacé par une organisation de la production où le travail productif, au lieu d’être un moyen d’asservissement, devient un moyen de libération des hommes. En effet, dans ce système, chacun a l’occasion de développer toutes ses facultés physiques et intellectuelles dans toutes les directions, et le travail n’est plus un fardeau mais un plaisir. » Voyez aussi Andler, les Origines du socialisme d’État en Allemagne. Paris, 1897, Alcan.