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Simon avait quitté la ville de Rennes. Deux motifs le retenaient à Paris : d’abord, une affaire de famille, et surtout une histoire d’amourette. De l’amourette, il n’avait soufflé mot à sa mère, que chagrinait vivement une bien déplaisante aventure. Le malheur venait de s’abattre sur ces très honnêtes gens : l’un des jeunes Rapatel, l’adjudant-commandant François, se mourait. Les fatigues de maintes campagnes et une blessure mal guérie avaient déterminé chez ce vaillant une consomption incurable ; les médecins ne gardaient plus d’espoir, et le pauvre anémié s’éteignait à vingt-neuf ans. Une femme s’était installée à son chevet. Oh ! celle-là n’était point de ces belles que Mme de Staël a qualifiées d’ « inexplicables, » et l’impertinent Chamfort lui eût octroyé « une case de plus dans le cerveau, » mais, dans le cœur, « une fibre de moins. » François l’avait rencontrée dans les bas-fonds de la galanterie parisienne, — une demoiselle de X…, fille d’émigrés, ou se donnant pour telle, — et le trop crédule soldat en avait bientôt fait son « amie :… » on avait l’euphémisme pudique en ces jours-là. Il vivait avec elle, même la prétendait épouser. Ce mariage à la Diderot ne plaisait guère à la famille ; Mme Rapatel se désolait ; dans toutes ses lettres, elle fulminait contre la « coquine, » et la gentille Minon parlait avec terreur de « la mauvaise femme. » Mais, mauvaise femme ou plus crûment coquine, la tendre amie tenait sa proie ; le malade était devenu sa chose ; elle l’avait emporté « au sein de la Nature, » c’est-à-dire dans la banlieue parisienne, chez un nourrisseur de Fontenay-aux-Roses. Là, elle séquestrait l’agonisant et lui avait dicté un testament… Un testament ! Aussitôt, obtenant un congé, Auguste Rapatel était accouru.

Le testament, toutefois, et les méfaits de la « coquine » n’avaient été pour l’officier qu’un prétexte à déplacement. Lui aussi, — nous le dirons tout à l’heure, — avait à Paris sa « bergère : » une jeune personne qui s’énervait et s’agitait dans l’Ile Saint-Louis. L’amoureuse intrigue s’était engagée à Rennes, sous le regard aveugle de Mme Rapatel, et, pareil à François, le galant Auguste, « né sensible, » mais très loyal, désirait dépêcher un mariage devenu nécessaire… Au surplus, voyage inutile, à Fontenay du moins. Le capitaine avait toujours trouvé porte close ou rencontré visage de bois : la « mauvaise femme » chambrait son moribond… Intolérable ! — et de guerre lasse, il s’était adressé au protecteur de sa famille, au général Moreau.