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bronzée par la lutte contre les élémens ennemis, ne possède pas les qualités proprement militaires : non que le courage et l’énergie lui fassent défaut sur le sol natal ; mais son organisation nerveuse, et sa sensibilité presque maladive lui interdisent le service monotone des garnisons lointaines. Le mal du pays, le Heimweh, exerce dans les rangs des recrues de foudroyans ravages : il fait les déserteurs, que les gendarmes savent bien retrouver sans fatiguer leurs jambes ou celles de leurs montures ; il leur suffit en effet, aussitôt prévenus, de venir s’asseoir au foyer du coupable : tout à l’heure, ils le saisiront là sans résistance, pour le pousser de nouveau vers le supplice moral de l’exil, que vient parfois abréger une mort volontaire ou fatale. On voit quelques-uns de ces malheureux colorer à leurs propres yeux une faiblesse irrésistible de quelque teinte religieuse : ils trouvent dans l’enseignement mal compris du christianisme des préceptes de mollesse et de lâcheté. Comme jadis les anabaptistes, ils se refusent par principe au métier des armes, ou encore ils emploient, pour échapper à l’uniforme impérial, les subterfuges les plus audacieux : déclarant filles les garçons à leur naissance, et faisant passer leurs fils pour morts avant l’heure de l’appel. Leur avocat-né, dont nous résumons en ce moment la longue et pénétrante expérience personnelle de leurs aspirations et de leurs besoins, affirme, à leur décharge, que les perspectives d’avenir sont peu encourageantes aux vaillans qui font jusqu’au bout leur devoir, et qu’ils reviennent d’ordinaire au pays estropiés ou perclus avec, pour tout salaire, la licence de mendier par les chemins jusqu’à leur dernier jour.

Le mal du pays n’est d’ailleurs qu’un des symptômes révélateurs de cette sensibilité nerveuse de la race, si apparente par ailleurs, et qu’un Nietzsche dirait peut-être entretenue et développée dans la pratique séculaire de la religion du cœur par excellence, le catholicisme. Ainsi, malgré de fréquentes explosions d’égoïsme et de brutalité, on constate chez ces montagnards une singulière tendresse d’âme que souligne l’emploi incessant du qualificatif cher, lieb, appliqué à tout ce qui les entoure. La chère demeure, les chères montagnes, le cher bétail même s’attachent aux fibres les plus intimes de l’être par mille liens secrets. Que dire des effusions suscitées par la piété chrétienne, qui est l’inspiratrice de toute cette vie sentimentale ? Le peintre de ces natures simples, Pierre Rosegger, nous montre quelque part