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de lait et quelques crêpes préparées au fond de la poêle, afin de satisfaire aux devoirs de cette hospitalité fantomatique. Or, par un prodige que « seul le chat de la grange pourrait expliquer s’il savait parler, » le lait a diminué le lendemain matin, et les gâteaux ont disparu de leur récipient.

Esclaves de pareilles illusions, voilà des hommes bien différens, semble-t-il, de ceux que nous rencontrons aujourd’hui dans nos campagnes. Pourtant certains de ces traits ne nous sont pas entièrement nouveaux, et, tandis que, dans l’œuvre considérable et variée du peintre de la Styrie, nous regardions se former, par touches précises et fidèles, l’image colorée de ce peuple montagnard, surgissait en notre souvenir le nom d’un écrivain français, pourvu comme lui des dons charmans du conteur, et qui n’a pas moins joliment évoqué parfois son pays natal. Un peu dédaigné des lettrés, mais adopté dès longtemps par la foule, Paul Féval gardera sans doute des fidèles pour avoir possédé le secret précieux de la vie. Et telle page de Rosegger nous semblait soudain traduite des Contes de Bretagne ou de Château-pauvre. Or, en y regardant de près, cette analogie de forme n’est que l’expression d’une similitude plus profonde, celle des dispositions héréditaires, chez les deux auteurs, comme chez leurs modèles rustiques. Ces Styriens semblent aussi par instans les frères de nos Bretons. L’attachement pour ainsi dire physique au sol natal, qui fait du mal du pays, comme du Heimweh, une épreuve souvent mortelle ; l’horreur instinctive de la caserne et du service militaire dans une race pourtant brave et énergique ; cette nuance poétique du catholicisme, conservant un reflet lointain des vieux cultes de la nature ; cette dévotion profonde, innée et ineffaçable à la Vierge, notre « chère dame, » tout cela est styrien, mais tout cela est aussi breton, — et l’Irlande offrirait sans peine des points de comparaison. — Comment s’en étonner d’ailleurs ? Bien que le patriotisme germanique discute parfois l’origine en grande partie celtique des paysans rhénans, souabes, bavarois, autrichiens, la linguistique, l’ethnographie et l’anthropologie s’accordent à la rendre probable.

On pourrait même pousser plus loin un parallèle suggestif en rapprochant les écrivains dont nous venons de parler dans leur destinée individuelle. Un enfant pensif, un petit rêveur dont l’âme a des délicatesses de sensitive, pour qui la vocation religieuse offre tout d’abord un attrait mystérieux, et qui, sur le