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maintenant mettre en relief sur le décor original dont il vient de nous fournir les élémens principaux.


III

Nous devons nous excuser avant tout d’avoir tenté sur le caractère et sur le talent de M. Rosegger une enquête minutieuse et, semble-t-il, indiscrète, puisqu’il s’agit d’un écrivain bien vivant, d’un homme en chair et en os, qui aurait le droit de se récrier sous le scalpel d’un anatomiste littéraire trop importun. Mais, plus que tout autre, le poète styrien encourage le psychologue, et provoque le moraliste à scruter les mystères de sa personnalité si intéressante. Il s’est en effet raconté lui-même sans se lasser ; il a écrit, en traçant[1] une peinture aimable du cadre intime d’où sortirent ses plus récens travaux : « Le poète[2], qui offre au monde entier le spectacle des plus profonds secrets de son cœur, n’a nulle bonne raison pour lui dissimuler l’aspect de sa chambre. » Et encore, insistant sur sa mission éducatrice : « Mon opinion est que nul n’a mieux à donner à ses frères en humanité que soi-même. » Cherchons en conséquence à profiter de ces dons, sans oublier qu’ils sont d’ordre intime, et de nature délicate.

Le chemin de fer, qui, par la vallée de la Muerz, se dirige sur Vienne à travers le massif styrien, possède aujourd’hui une station au village de Krieglach. A quelques kilomètres de là, dans les gorges étroites et sur les hauts plateaux, se groupaient tant bien que mal, vers le milieu du siècle qui vient de finir, une vingtaine de ces fermes isolées dont nous avons décrit l’aspect. Elles formaient le hameau d’Alpel, mais leurs habitans devaient aller chercher église, cimetière, administration à Krieglach. C’est bien à dessein que nous employons ici le temps passé du verbe, car Alpel a vécu maintenant ; la plupart de ses fermes sont abandonnées, et la maison natale de notre écrivain achève de tomber en ruines comme ses voisines. Nous le savons par son propre aveu, car, ayant accompli, il y a quelque dix ans,

  1. Mein Wellleben.
  2. Comme le fait ici Rosegger, nous le traiterons souvent de poète, dans le sens allemand du mot Dichter, qui désigne tout auteur d’une œuvre sortie de l’imagination créatrice, quand elle serait écrite en prose. Et, de fait, Rosegger est surtout un prosateur.