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de son amie. Fensterln, ce verbe bizarrement greffé sur un diminutif[1] joue un grand rôle dans les récits d’amour de ces montagnes. Pierre en faisait-il quelquefois usage pour son compte, et faut-il chercher en son œuvre les traces de quelques idylles personnelles ; arrêtons-nous un instant à cette question délicate. Notre auteur, qui porte en ces sujets intimes la réserve instinctive de sa race, est demeuré fort avare de confidences sentimentales sur la période de sa vie où l’homme en lui remplaça l’enfant. Il a seulement indiqué par quelques mots discrets que l’éveil de son cœur fut tardif, mais qu’il l’entendit parler ensuite aussi impérieusement que tout autre. Les figures féminines esquissées dans ses souvenirs forestiers se rapportent au temps de l’innocence, à peine effleurée par le premier souffle de la passion lointaine encore. Voici l’une des plus gracieuses.

Pierre se vit envoyer certain jour par son père vers un marchand de bois du voisinage qui tardait à régler ses dettes vis-à-vis du paysan déjà appauvri : « Je ne puis plus, faisait dire Lorenz Rosegger à son mauvais payeur, nourrir ma nombreuse famille si tu ne me rends pas mon dû. Tu garderas donc mon fils chez toi jusqu’à ce que tu puisses lui remettre la somme que j’attends. » Et, telle est la naïve bonhomie de ce peuple patriarcal, que l’enfant, devenu inconsciemment garnisaire, fut accueilli et traité comme ceux de la famille chez le débiteur de son père, jusqu’au jour où quelque rentrée d’argent permit de le renvoyer au logis avec la somme réclamée. A côté du Vergelt’s Gott chrétien, n’est-ce pas là encore une aimable manière d’acquitter les intérêts d : un emprunt ? Chez le vieux Thomas se déroula cependant une fraîche idylle entre l’enfant du créancier et la fillette de la maison, une petite bergère un peu plus âgée que lui, Kaethele. « Je sortais toujours avec Kaethele, et elle me conduisait çà et là par la forêt. Nous visitions de compagnie les ravines, les blocs de rocher, et son babil ne tarissait pas. Une fois même, elle me dit en confidence que, quand tout faisait silence dans le bois, quand les bourdons seuls murmuraient, et qu’un souffle d’air bruissait légèrement, Dieu passait alors au milieu de la forêt. Il était plus grand que les arbres les plus hauts, mais prenait souci des plus petits faons du chevreuil ; quand il voyait se traîner une fourmi blessée par le pied d’un marcheur, il l’aidait

  1. Le français naïf de nos pères l’eût peut-être traduit par Fenestreller.