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de la capitale, il avait été arrêté comme espion, sans qu’il ait trop su pourquoi. Cet événement avait un peu troublé son esprit ; il passait son temps à faire des plans de campagne. Il était en route depuis plusieurs semaines, n’ayant ni argent, ni vêtemens de rechange. Il était coiffé d’un chapeau haut de forme, qu’il n’avait plus quitté, ni jour, ni nuit depuis son arrestation. Aussi, quel chapeau ! Il était impossible de rien imaginer de plus bosselé, de plus défoncé, de plus extraordinaire comme nuance. L’autre, M. Nobécourt, était sorti de Paris en ballon comme attaché au service des dépêches. Son ballon avait été troué par les balles des Allemands et il était tombé dans leurs ligues sans se faire aucun mal. C’était un Parisien, petit, gai, plein d’entrain, de bonne humeur et de dévouement, ne sachant que quelques mots d’allemand, mais trouvant néanmoins moyen d’intéresser les soldats et les habitans, qui nous approchaient, et de leur raconter, par gestes, l’histoire de son voyage et de sa dégringolade en Luftball (ballon).

Nos signalemens vérifiés, l’officier fait charger devant nous les armes des soldats qui nous gardent, et nous dirige à pied vers la gare. On nous embarque dans un train partant pour Francfort. L’officier allemand voyage en première classe ; nous en troisième, avec deux soldats qui gardent chacun une portière de notre compartiment, le fusil placé entre les jambes. Ce sont de braves gens du duché de Posen, qui se montrent très complaisans pour nous. Ils sont même pleins d’égards pour le vieux maire, qui tousse à rendre l’âme, et que notre long voyage, en troisième et même quatrième classe, par ce vilain hiver, fatigue beaucoup.

A Francfort, on nous fait attendre pendant plusieurs heures à la gare de l’Est ; le train que nous devons prendre pour Leipsig et Dresde ne part qu’à dix heures du soir. J’obtiens la permission de conduire mes compagnons à une buvette de la gare où nous dînons avec quelques viandes froides. Petit à petit, quelques personnes du voisinage, des femmes surtout, se rassemblent autour de nous. Nos factionnaires, fiers d’avoir à escorter des prisonniers extraordinaires, racontent que nous avons tous été pris en ballon. M. Nobécourt intervient par gestes, et les femmes émerveillées répètent : in Luftballen, alle in Luftballen ! (en ballons, tous en ballons ! )

Le vieux maire prend ces exclamations pour de