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indiscrètes. Mme Desprès, après avoir, sur des scènes de genre, fait preuve d’un talent original, arrivait à notre première scène ; et nous devons croire que son désir était de s’y installer et de s’y maintenir. Ce n’eût été que justice de lui laisser le temps de s’y faire sa place et d’accommoder son talent à un cadre nouveau. Mais on voulait à toute force que sa première création fût une révélation et une révolution. Enfin l’art moderne faisait son entrée à la Comédie-Française et sous sa poussée triomphante l’édifice vermoulu des traditions et des conventions allait tomber comme par enchantement ! Mme Desprès joua Petite amie : elle y fut médiocre. Pour la continuation de ses débuts, elle devait interpréter un rôle du répertoire classique : le rôle de Phèdre la tentait. Aussitôt le bruit se répandit qu’il se préparait un événement littéraire. Mme Desprès a dit le rôle avec beaucoup de conscience et de scrupuleux efforts, comme l’aurait pu faire une des meilleures élèves du Conservatoire. Elle a fait de son mieux : on sentait assez qu’elle s’appliquait. Dans cette double épreuve, Mme Desprès n’a nullement été au-dessous d’elle-même ; mais à coup sûr, elle est restée très loin de ce que nous promettaient ses prôneurs impitoyables. Aussi a-t-elle préféré retourner aux scènes de genre où le succès est plus facile et l’originalité à meilleur compte.


Au Vaudeville, Sa maîtresse, une pièce enfantine et déclamatoire, écrite à grand renfort de cette phraséologie extraordinaire dont M. Henry Bauer a le secret, a servi du moins à présenter au public une débutante qui semble remarquablement douée. Mme Rébecca Félix, une nièce de Rachel, a des dons d’élégance et de distinction vraie qui sont au théâtre presque aussi rares que dans la société d’aujourd’hui ; la voix chaude, caressante, est d’une douceur pénétrante. Nous souhaitons vivement de la voir bientôt dans un rôle, qui sera un vrai rôle, et où elle trouvera l’emploi de ses qualités d’intelligence et de passion. Et quelque jour, quand elle sera davantage en possession de son métier, il faudra qu’elle s’attaque à l’un de ces rôles du répertoire où elle a des traditions de famille à reprendre, et où il se peut qu’elle nous rende ce qui manque si complètement aux tragédiennes d’aujourd’hui : le style.


R. D.