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le hâle, ses yeux noirs et vrillés, son nez rond, son menton en galoche, ce gringalet ne payait pas de mine. Mais un stigmate de gloire corrigeait la trivialité de cette laideur : une cicatrice, coup de sabre de l’Autrichien, qui lui balafrait le visage. En outre, une balle anglaise le faisait boiter légèrement :… c’était un brave. Ses états de service disaient tout son mérite : neuf campagnes en neuf années, et maintes batailles, aux armées du Nord, de Sambre-et-Meuse, de Batavie, des côtes de l’Océan. Edouard Simon avait combattu avec Dumouriez, Pichegru, Moreau, Hoche, Brune et Bernadotte, mais, par malchance, n’avait jamais servi sous Bonaparte. Sa carrière, d’ailleurs, avait été parcourue, presque tout entière, dans les états-majors, car il était réputé un « savant. » Au milieu de tant de généraux, parvenus de l’épée, naguère encore valets de charrue, palefreniers ou mitrons, glorieux fils d’eux-mêmes, mais demeurés des cerveaux inaptes à toute culture, — cet enfant de bourgeois pas sait, à juste titre, pour un grand clerc. Son père, un médecin de Troyes, l’avait élevé mieux qu’un aristocrate. Amateur de belles-lettres et rimaillant dans l’Almanach des Muses, ce père, aujourd’hui bibliothécaire du Tribunat, avait jadis lâché le bistouri pour caresser l’écritoire. C’était un des poétereaux à la mode, mais d’une espèce tout autre qu’un Coupigny ou qu’un Saint-Ange : — helléniste et latiniste, satirique et anacréontique ; tantôt philosophant comme un Volney, et jetant son « Coup d’œil sur les tableaux de l’Europe ; » tantôt aussi libertin qu’un Parny, et traduisant — ô Cabanis ! — un choix de vers érotiques ! Le plus pur de sa renommée était une tragédie antique : Mucius ou Rome libre, d’ailleurs jamais représentée, mais qu’on affirmait plus sublime encore que le plus sublime Lemercier. On en citait des tirades, des vers, des hémistiches ; l’admiration environnait cette chose à moitié mystérieuse, et le Parnasse jacobin avait sacré grand homme cet illustre Simon (de Troyes)…

Le fils avait hérité du style paternel, conquérant et méritant ainsi l’enthousiaste amitié de Bernadotte. Bien qu’il eût fort peu de lettres, l’ancien sergent de Royal-Marine affichait de plaisantes prétentions littéraires ; son ignorance native se vernissait de pédantisme. Souvent, il posait des « colles » à ses aides de camp, et s’amusait à les stupéfier par son érudition de date récente, acquise dans une lecture, parfois le matin même.

Aussi estimait-il un chef d’état-major qui savait le latin, le grec,