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par d’autres récits, nous donnent peut-être le mot de l’énigme.

Dans les premiers jours du mois de floréal, le chef de la 82e demi-brigade, Pinoteau, était parti brusquement pour Paris. Son absence avait duré plusieurs semaines, puis il était revenu à Rennes, en proie à la plus vive exaltation. Pendant son voyage, ce colonel avait reçu les instructions de Bernadotte, un programme à faire exécuter par son régiment. « On comptait beaucoup, affirma Chausseblanche, sur plusieurs chefs de corps. » A Paris se tenait en permanence « un comité des généraux les plus estimés, » et Bernadotte, pour sa part, avait assumé la tâche de faire insurger son armée de l’Ouest. Le plan des conspirateurs était machiné comme un mélodrame, avec prologue, actes à péripéties, dénouement tragique. Tout d’abord, le chef d’état-major Simon, très populaire parmi les officiers, devait par une adresse les inciter à la rébellion. Bertrand, simple intermédiaire, avait donc remis les Appels à Chausseblanche, promis à l’imprimeur une provision de quinze cents francs, et bientôt, trois mille placards étaient partis, emportés par les diligences. Simple préparation au demeurant, et début de la tragédie : Pinoteau s’était chargé d’ouvrir l’action. A un signal venu de Paris, il faisait battre la générale, rassemblait sa demi-brigade dans le Champ-de-Mars, y proclamait la déchéance des Consuls, aux cris enthousiastes de : « Vive Moreau ! » Aussitôt d’autres régimens se hâtaient d’accourir, et Simon entrait de nouveau en scène. Dirigés par lui, les soldats envahissaient la préfecture, faisaient la rafle des caisses publiques, puis se mettaient en marche vers Paris. Là, « une révolution en grand » était préparée : insurrection des troupes de ligne, pillage du Trésor, attaque des Tuileries, déposition du Premier Consul…

— Avait-on dessein de le mettre à mort ? interrogea Mounier.

— On n’a parlé de tuer personne.

Dans une déclaration écrite, Chausseblanche se montra plus affirmatif encore : la distribution des libelles « faisait partie d’une mesure générale, » adoptée pour la France entière. A Paris, « le comité des généraux » s’était engagé à « faire le coup de main, » puis à proclamer un gouvernement nouveau… « Lequel ? » Et Chausseblanche, très convaincu : « La Convention. »

Malgré son exagération évidente et ses apparences romanesques, un tel récit n’était pas que mensonge ou billevesées d’un cerveau jacobin. Il corroborait étrangement les rapports de