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affiches séditieuses furent collées dans les faubourgs : Guerre à mort à Bonaparte ! Vive Moreau ! Mais le préfet, averti, dépêcha des gendarmes ; ils arrachèrent les pancartes, empoignèrent quelques turbulens, et tout rentra dans l’ordre, le silence, la morne solitude.

Durant la journée du lundi, la 82e demeura consignée : le général Delaborde devait la passer en revue de départ. Mais, derrière les portes closes du quartier, l’agitation se continuait ; deux groupes ennemis s’étaient formés : d’un côté, Couloumy et ses adhérens ; de l’autre, les fidèles de Pinoteau et du vieux Müller. On se racontait que le colonel et le commandant, mis aux arrêts forcés, n’avaient pas encore quitté Rennes ; mais l’ordre allait venir de les diriger sur Paris, puis de les torturer dans un cachot du Temple. Parmi leurs partisans, beaucoup s’indignaient, parlaient de vengeance, annonçaient des représailles : « Non, l’infâme Couloumy ne commanderait pas la demi-brigade ! Il avait dénoncé : on le dénoncerait à son tour. » D’un groupe à l’autre, on se provoquait du regard, on se menaçait du geste ; ici le capitaine Lelidec, et là le capitaine Chartran, les deux rivaux, chefs de coterie : un régiment en décomposition… Mais tout à coup, roulement de tambours, et : « garde à vous ! » Delaborde pénétrait dans la caserne.

Vive le Premier Consul ! clama-t-il, agitant son épée.

Dans les rangs, silence ou murmures… Alors, et avec lenteur, le général parcourut le front de bandière des bataillons. Par saccades, il s’arrêtait devant quelque troupier et l’apostrophait :

— Pourquoi ne cries-tu pas Vive Bonaparte ? Serait-ce le chef de brigade qui t’a donné cette consigne ?

Interdit, l’homme se taisait ou répondait par un non timide.

— Allons, sois franc ! Le chef Pinoteau a-t-il voulu, oui ou non, vous faire insurger ?

Tous les soldats protestèrent : « Des calomnies ! Le chef était loyal, incapable de trahison ! »

— Bien, bien !… Vive Bonaparte !

Delaborde se retira mécontent… Mauvaise clique, brebis galeuses, qu’il fallait abattre au plus vite !

Enfin, le mardi 29 juin, dès l’aube naissante, les portes du quartier Saint-Cyr furent ouvertes, et la 82e en sortit : le chef de bataillon Couloumy la commandait. À cette heure matinale,