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Froissart inédit. Il m’a fort intéressé. On trouvera que vous êtes trop impartial et que vous aimez trop la vérité, cette bête noire de presque tout le monde. Messieurs du Siècle et mesdames du Correspondant vous trouveront immoral et scandaleux. Je trouve que vous êtes dans le vrai et que les choses ont dû se passer de la sorte. Adieu, cher monsieur, ne m’oubliez pas, achevez bien vite votre histoire de la Grèce au point de vue persan, et je vous arrangerai de bonne sorte dans le Journal des Savans. Miss Lagden et Mrs Ewer me chargent de tous leurs complimens : Ἔῤῥωσο.


Paris, 14 juillet 1868.

Cher Monsieur,

Vous croyez que je ne pense pas à vous, et vous vous trompez fort. Mais je vis dans le désert pendant le mauvais temps, et, pendant le beau, je ne vois personne. Le moyen d’écrire à un Athénien quand on n’a pas des nouvelles du monde à lui mander ! En voici cependant une qui ne concerne que votre serviteur et qui vous intéressera, j’espère. Vous savez que je suis asthmatique, et l’hiver dernier a été des plus pénibles. Je me croyais voguant à pleines voiles vers le monument, lorsqu’un de mes amis, point médecin[1], m’a conseillé d’aller à Montpellier essayer des bains d’air comprimé[2]. J’y suis allé. On m’a mis sous cloche et on m’a rendu sourd pendant une semaine, mais, au bout d’un mois, j’étais devenu un autre homme. J’avais un emphysème au poumon, qui a disparu. Enfin, je me trouve infiniment mieux. Cela durera-t-il ? That is the question. Je compte retourner cet automne sous ma cloche. Je viens de passer douze jours à Londres ; j’ai tenu entre mes mains la couronne de l’infortuné Theodoros[3] et son gobelet, l’un et l’autre en or, d’un travail de chaudronnier ignorant. J’ai vu le portrait de ce grand prince fait un quart d’heure après qu’il eut abdiqué au moyen d’un coup de pistolet. Il ressemble à un honnête bourgeois de Paris peint en noir, il a un très beau front et sur ses lèvres, qui sont minces et bien découpées, un sourire très étrange. La balle étant entrée dans le cervelet, et le cervelet donnant des idées anacréontiques,

  1. Il était avocat à Marseille, mais nous n’avons pu retrouver son nom.
  2. Traitement du Dr Bertin. — Il existe toute une correspondance inédite de Mérimée avec le Dr Charles Robin sur ce traitement.
  3. Le roi d’Abyssinie. mort par suicide, après la prise de Magdala. le 12 avril 1868.