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simplicité, et fort amusant par son incapacité naïve à comprendre la vocation de son fils : « Ce qu’il a fait, avait-il dit, je ne pourrais pas le raconter en allemand, car je ne le sais pas moi-même. Les gens parlent beaucoup sur le garçon ; ils en parlent beaucoup, et je ne m’y reconnais guère. Il est gentil pour moi, vient me voir ; et, puisqu’il se détournerait facilement du bon chemin, je veux prier assidûment pour lui. »

Enchantées de leur excursion alpestre, les jeunes femmes descendaient maintenant la côte en bavardant ; la plus âgée, une institutrice communale, n’était venue là que pour accompagner son amie, Anna Pichler, fille d’un chapelier de Gratz. Ayant lu dans les journaux la mort de Marie Rosegger, mère du poète populaire dont elle faisait sa lecture favorite, cette jeune personne avait demandé à ses parens la permission de remplacer les bals du carnaval et la dépense de toilettes qu’ils entraîneraient pour elle, par un petit voyage d’été au foyer de Pétri Kettenfeier. A la vue de ce dernier, son camarade qui guidait les étrangères fit la présentation sur le sentier, et l’on rentra de compagnie à Krieglach. Les premiers momens furent embarrassés, mais la jeune fille mit bientôt à son aise le timide écrivain ; sa voix était si calme, son regard rempli d’une si pleine bienveillance ; il semblait que, depuis une éternité, l’on marchât ainsi côte à côte en vieilles connaissances. Les conséquences se devinent déjà, car de pareils débuts ont presque toujours des suites, surtout dans l’imagination des poètes. Une circonstance tragique les remit presque aussitôt en présence ; au cours de la nuit du lendemain, un incendie considérable ayant jeté dans les rues les habitans de Krieglach, anxieux du sort de leurs demeures, les deux jeunes gens, chacun suivant ses moyens, firent bravement leur devoir, et exercèrent côte à côte le ministère de la charité. Aussi, peu de temps après, Rosegger s’enhardissait-il jusqu’à écrire à Mlle Pichler pour lui demander sa photographie, et, l’hiver suivant, le poète fréquenta assidûment chez les parens de la jeune fille, honnêtes bourgeois, qui avaient donné à leurs enfans une éducation solide et élevée. Force fut de marier enfin ces amoureux, bien que les ressources de sa plume ne constituassent pas encore à Pierre un revenu bien considérable pour un père de famille, tandis qu’Anna apportait seulement en dot un logement fourni par les siens. Tout s’arrangeait au mieux cependant pour le jeune ménage, lorsque cette union heureuse aboutit