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de l’homme qui ne meurt pas. Or, par une adroite péripétie, le pauvre mendiant s’éteindra précisément non pas dans les affres d’une agonie pleine d’angoisse, mais dans un accès de fou rire causé par quelque futile incident matériel.

Voici encore le tailleur Ferl, beau et honnête garçon qui « dépérit au soleil et prospère dans la tempête : » les mois d’été lui sont une épreuve et les ouragans d’automne lui donnent le signal de vagabondages délicieux. C’était, dit son peintre, « un être naïf et bon qui, sans doute, à titre de contraste avec la paix de son cœur d’enfant, recherchait et aimait les manifestations puissantes de la nature, et se sentait plus près de son Créateur et Rédempteur dans la fureur des élémens qui détruisent et édifient tout ensemble[1]. »

Toutefois, les plus intéressans à nos yeux, parmi ces originaux rustiques sortis de la plume de Rosegger, ce sont ceux qui puisent dans les préoccupations religieuses la matière de leurs singularités : ils apparaissent en effet comme les fruits exceptionnels, comme les produits, précieux au gourmet, d’une véritable culture en serre chaude ; idée qu’éveille en nous cette société immobile depuis le moyen âge, dans laquelle la religion alimente seule toute la vie morale, intellectuelle et artistique[2]. Et, dans leurs rangs, nous distinguerons les mauvais croyans des bons : nous voulons dire ceux qui cherchent, dans l’enseignement chrétien mal interprété, des argumens à l’appui de leurs humaines passions, de ceux qui y trouvent le principe et l’aliment des plus exquises qualités du cœur.

Les premiers sont les moins nombreux, hâtons-nous de le dire, mais ils se présentent parfois avec un relief saisissant. Voyez le portrait effrayant, dans sa tranquille précision, de cette vieille folle que rencontra l’apprenti tailleur chez un de ses hôtes passagers, martyrisant par ses pratiques de dévotion superstitieuse et par ses imaginations démoniaques une charmante fille adoptive[3]. Ou encore celui de Philippe le Haïsseur[4], un autre déséquilibré, qui s’est fait une volupté de la haine et qui, détournant de leur sens, par un dangereux sophisme, quelques bribes mal digérées de l’Ecriture, ordonne à ses valets de saisir

  1. Allerhand Leute.
  2. Als ich jung noch war.
  3. Geschichtenbuck des Wanderers.
  4. Hoch vom Dachstein.