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un horizon invisible à tous, sauf à eux deux ; il remonte une longue suite d’années qui ont justifié leur confiance en cette vie qui passe et qui l’ont transfigurée en promesse d’une autre vie meilleure.

Revenons à la population ouvrière de Perry. On peut relever en l’observant tous les traits caractéristiques du peuple américain : sacrifice de la famille à l’individu, détachement des générations par l’évolution rapide des conditions sociales, goût de l’indépendance, amour du luxe, et, en ce qui concerne les femmes, mode d’existence incompatible avec la grossesse, les soins maternels, la tenue d’un ménage. L’altitude de la femme est celle d’une rivale et d’un autocrate, jamais d’une alliée, d’une aide de l’homme. J’ai souvent entendu des phrases comme celles-ci : « Une telle doit être mariée, elle ne travaille pas. » Ou encore : « Mon père me donne tout l’argent dont j’ai besoin, mais pas tout l’argent que je veux, de sorte que je travaille pour faire la balance. »

Les femmes qui expriment ces sentimens travaillent afin de s’assurer le superflu jusqu’à ce que se présente le mari qui leur convient ; alors elles le laisseront peiner pour deux avec l’espoir que le budget ne sera pas diminué par une augmentation de famille. Dans le cas où la femme continue à travailler après son mariage, elle choisit invariablement une occupation qui ne lui permettra pas d’être mère. Il y avait quelques couples d’ouvriers dans la fabrique de tricot de Perry. Je n’ai jamais vu un baby ni entendu parler d’enfans tandis que j’étais là[1].


III. — CHICAGO

Ma première connaissance avec la vie de garni, tenement life, à Chicago, se fit à souper chez Mrs Moss. Mes recherches pendant une après-midi tout entière m’avaient conduite à la découverte d’une chambre, louée un dollar 25 par semaine ; avec les repas dans une autre maison pour 35 cents par jour, total hebdomadaire 3 dollars 70.

  1. Parmi les Américaines de naissance, la stérilité est plus fréquente que dans tout autre pays, excepté la France dont les anxiétés, au sujet de la dépopulation, s’imposeraient à nous sans l’immigration incessante et la fécondité des habitans étrangers. Le nombre moyen des enfans, par famille, a diminué en un siècle de 8 à 1,6.