Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/792

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils se heurtèrent à des troupes intactes ; ils furent décimés par le feu de la mousqueterie et achevés à leur tour par la charge d’un régiment de lanciers français.

Quand, un peu plus tard dans la journée, le maréchal Ney, sous les ordres de qui l’Empereur avait mis le corps de cuirassiers et même la division de la garde à cheval et qui, depuis le commencement du combat, pensait à une grande action de cavalerie, lança toute cette masse de chevaux contre la Haie-Sainte et le plateau de Mont-Saint-Jean, qu’occupaient l’infanterie et l’artillerie anglaises encore intactes, — ce fut le désastre. Le flot montant de cette charge colossale fut accueilli par une rafale de fer qui faucha presque tous les escadrons de tête. En vain, les cuirassiers se ruèrent sur les canons et envahirent toutes les batteries anglaises. Les canonniers s’étaient repliés dans les carrés d’infanterie dont le feu de mousqueterie eut bientôt fait de débander notre cavalerie. Par quatre fois, Ney s’entête et ramène sa cavalerie à l’assaut du Mont-Saint-Jean. Chaque fois, l’ennemi renouvelle sa manœuvre. Après avoir mitraillé la cavalerie, les artilleurs abandonnent leurs canons, se dérobent derrière les fantassins, qui ouvrent le feu à leur tour et abattent des rangs entiers de cavalerie. Le moral de cette infanterie, qui se rend de plus en plus compte de son invincibilité, s’accroît sans cesse. Devant les batteries anglaises s’élève un rempart de cadavres de cavaliers et de chevaux, qui s’augmente à chaque nouvelle charge et en rend les abords plus hideux et plus infranchissables.

Enfin, après la quatrième tentative, nos cavaliers, découragés et dispersés, se retirent dans le fond du vallon de la Haie-Sainte.

Ainsi, cette gigantesque et folle chevauchée aboutit à un complet désastre. Elle ne réussit même pas à frayer le passage à l’infanterie et n’eut d’autre résultat que la destruction de notre cavalerie.

Trente-neuf ans plus tard, une charge célèbre va prouver que, même contre une infanterie en retraite, lorsque celle-ci n’est pas en déroute, la cavalerie est désormais impuissante.

Le 25 octobre 1854, la division d’infanterie russe du général Liprandi, avec 3 000 cavaliers, s’était avancée dans la vallée de la Tchernaïa pour attaquer Balaklava et enlever à l’armée anglaise sa base d’approvisionnement. Ces troupes avaient d’abord rencontré cinq redoutes garnies de quelques pièces anglaises, et