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que c’est que ces trois jeunes gens imberbes, en tuniques courtes et en anaxyrides, coiffés du bonnet phrygien, qui courent sur ce sarcophage de Ravenne, laissant flotter au vent leur manteau antique, ceux-ci ou encore, élevant dans leurs mains une corbeille de fruits, deux colombes et une couronne de roses ? Quel mystère dionysiaque vont-ils fêter ? Quels jeux du stade ont-ils quittés pour venir ? Ces jeunes gens sont les Mages, ces bonnets phrygiens sont leurs diadèmes : ils viennent des bords du Danube et ces roses sont les offrandes qu’ils vont faire au Fils de Dieu. Intelligible pour les premiers chrétiens, cet appareil ne l’était plus pour ceux qui suivirent.

Chez les primitifs de l’école allemande, comme en Italie, les Mages sont avant tout des Rois coiffés de leurs couronnes qu’ils soulèvent respectueusement, en approchant, ou qu’ils posent avec précaution sur le sol. Ce sont des chevaliers casqués et bottés dont un page ôte les éperons pour les mettre plus à leur aise, des hommes de guerre, porteurs d’épées, venant saluer le Roi de la paix. On voit surtout l’antithèse de la force et de la faiblesse, de la puissance militaire et de l’humilité du serf désarmé. Mais à mesure qu’arrivent les nefs de l’Orient chargées de choses lointaines et précieuses, le goût du pittoresque l’emporte. On voit l’antithèse des races. Les attributs du roi disparaissent de chez Rubens, de chez Véronèse, de chez Tiepolo, et ce sont les attributs de l’étranger, du Barbaresque, qui les remplacent. A la porte de l’étable, entre le chapiteau corinthien en ruines qu’embellit une plante grimpante et les madriers de l’étable, où une araignée patiente a tissé sa toile, tout d’un coup s’élève, obstruant le ciel quelque pyramide mouvante de figures animales et humaines, faite d’une double encolure de chameaux et de têtes éthiopiennes, brillant de plaisir et de surprise à la vue d’un Dieu si petit. C’est le Rubens du Musée d’Anvers.

Avec Véronèse, la scène se déploie, s’illumine, bourdonne encore. En se jetant à genoux, le vieux Melchior, dont la barbe blanche ruisselle, ouvre les mains d’étonnement, le pan de son manteau somptueux rebroussé en savantes cassures sur son épaule. Gaspar à genoux avec un négrillon obstrue le passage. Le nègre Balthasar court alors vers le spectateur, va sortir du tableau et revenir sur le premier plan offrir son gobelet d’or. Les Bergers grimpent dans la toiture pour mieux voir ; les cavaliers sautent à bas de leurs chevaux qui s’ébrouent et, sous un rayon