Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/823

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de lumière tombant du ciel en diagonale sur la Vierge, pêle-mêle avec des chérubins papillons, à travers les balcons édentés et les portiques ruinés où des génies sculptés semblent eux-mêmes se tordre dans leurs tympans et les lauriers poussés dans un bucrâne en clef de voûte frémir sous le battement des ailes, un page cingle à coups de cravache la tête équivoque d’un chameau récalcitrant. Vie, mouvement, lumière, opulence de gestes, et de chairs, tout est là !

Quand ces Turcs et ces Doges quittèrent l’étable, c’en fut fait à jamais du pittoresque des Rois Mages. Mais, alors, on se souvint de ce que les Primitifs avaient, à leur façon et selon leurs moyens, signifié : c’est que ce n’était pas seulement des Rois, ce n’était pas seulement des exotiques, mais que c’était aussi des sages. Le silence et le mystère des anciens jours sont revenus avec Burne-Jones enchanter les imaginations contemporaines. Son adoration des Mages, intitulée l’Étoile de Bethléem et composée pour les métiers de William Morris, semble se passer dans la forêt de Brocéliande et les Sages d’Orient être saisis comme le fut autrefois Merlin par l’enchantement supérieur à toute science : par l’amour. C’est la même forêt, semble-t-il, où, dans les entrelacs de la Briar Rose, se suspendent et se balancent les boucliers des chevaliers endormis. Les lys montent si haut autour des rois d’Orient qu’ils doivent verser sur leurs épaules leur jaune poussière et se pressent si épais qu’ils forment-la haie d’un angélique hortus inclusus. Dans la forêt sombre, pleine de mystères, on imagine des visages de fées trouant la feuillée, attentifs à ce qui se passe, des figures d’enchanteurs, de génies. « Dieux du ciel, dieux de la terre, dieux de la nuit, des fontaines et des fleuves, indigènes et étrangers, grecs et barbares, dit saint Augustin, qui pourrait vous compter ? » Combien sont-ils dans cette ombre, regardant le petit Dieu nouveau ? Ils vont fuir ou plutôt non : ils font déjà convertis. Comme le satyre que rencontra, dans la forêt, saint Antoine, ils chanteront la gloire du Seigneur : Noël ! Noël ! Les enchantemens de jadis s’effacent : les liens se brisent. Au fond des coupes tarissent les philtres. A toutes les îles, Les navigateurs pourront désormais aborder sans dommage. Il n’est plus besoin de cire dans les oreilles en traversant les détroits : Noël ! Noël ! Les sortilèges anciens sont vaincus par l’amour.

Ici, en dernière analyse, les Mages de la Nativité, c’est le