Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/828

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il pouvait oser des glorifications nouvelles. Le Jour de la nativité devenait la Nuit de Noël. La lumière, discrètement dosée par Rembrandt, prenait une apparence surnaturelle, fantastique. En dissimulant son foyer derrière quelques détails de premier plan, le groupe divin seul éclairé semblait fait d’une matière céleste et l’ombre enveloppant la plus grande partie des figures leur prêtait cette grandeur que donnent toujours, même aux choses les plus banales, le mystère et l’inconnu. A mesure que pâlissait l’auréole surnaturelle, la lumière naturelle devenait plus mystérieuse, plus divine et, pour ainsi dire, se surnaturalisait.

Les contemporains ont été plus hardis encore. Ils ont eu l’idée de rallumer l’auréole en plein jour. Dans l’Adoration des Mages, de M. de Uhde, qui est à Magdebourg et dans celle des Bergers, de M. Lerolle, une chute de lumière par la croisée glisse sur la tête de l’Enfant Jésus et de ses boucles blondes fait autant de fortuits rayons : ainsi la nature revient, d’elle-même, former autour de la tête divine l’auréole que le réalisme en avait un instant effacée.

La nature, en effet, contient pour qui sait la voir tout ce dont l’art a besoin. Un jour M. Lerolle dessinait une grande meule de paille, dans les environs de Versailles, près de Villepreux. S’en étant approché pour vérifier quelques détails, il vit un grand trou sous la meule et s’aperçut qu’elle était édifiée sur les poutres d’une sorte de galerie souterraine faite pour y verser des betteraves pendant l’hiver. Un flot de soleil ruisselant par cet étroit orifice donnait à tout ce qu’il touchait une surnaturelle apparence. M. Lerolle vit là, sur-le-champ, une arrivée des Bergers dans l’étable. Le tableau qu’il en fit est une des pages les plus intimes, les plus profondes de l’art contemporain. Assurément, elle ne contient plus rien de ce que les siècles de foi naïve ou de crédulité officielle admettaient ou exigeaient dans un pareil tableau. Mais la scène peut, si l’on veut, être dépouillée de toute sa signification historique ; les acteurs en sont de pauvres gens de nos jours et, comme on vient de le voir, l’effet surnaturel en est tellement dicté par la nature que c’est lui qui a donné l’idée du tableau et que de tout ce qu’il contient, la lumière surnaturelle est la seule chose que l’artiste ait vue.

Ainsi, figures et gestes, rois et bergers, nature même, paysage et surtout merveilleux, tout a bien changé et bien des fois depuis les premiers âges. Le palais est devenu une grange, les