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conduite de Napoléon à l’égard de sa jeune femme : tout récemment encore, n’avait-on pas raconté, en s’appuyant de l’autorité d’un secrétaire de l’ambassade de France, que Napoléon, non content de rudoyer Marie-Louise de mille façons, la trompait, au grand jour ? Aussi la nouvelle de la naissance du petit prince fut-elle, dans ces salons, fort mal accueillie. Et, au grand cercle tenu à la cour le 26 mars, on se répétait volontiers la boutade d’une femme d’esprit qui avait dit, en entendant la nouvelle : « Bah ! ce petit roi de Rome, dans quelques années il viendra peut-être ici se faire élever par charité[1] ! »

Cette boutade se trouvait être une prophétie. Trois ans plus tard, le 21 mai 1814, à sept heures du soir, deux calèches, se suivant à dix minutes d’intervalle, pénétrèrent dans la grande allée du parc de Schœnbrunn. De la première sortit l’ex-impératrice Marie-Louise, qui n’était plus maintenant que la princesse de Parme. Quand la seconde calèche s’arrêta devant le perron du château, le prince Trauttmansdorff y prit un paquet blanc, le remit au comte Kinsky, et celui-ci le porta dans ses bras jusqu’au salon d’honneur, où toute la cour était réunie. Ce paquet contenait l’ex-roi de Rome, qui venait à Vienne « se faire élever par charité. » Et je dois ajouter que les Viennois l’accueillirent, lui-même, avec autant de faveur qu’ils avaient naguère accueilli la nouvelle de sa naissance. Les rapports de police du 21 mai constatent que, « à la vue du beau petit prince, tout le monde manifesta un ravissement enthousiaste. » La foule criait : « Vive le prince de Parme ! » et les nobles dames, debout aux deux côtés de l’escalier, « mettaient tant d’empressement à baiser les mains de l’enfant que le comte Kinsky avait eu grand’peine à parvenir jusqu’au haut des marches. » Dans un rapport du 22 mai, Hudelist écrivait à Metternich que « l’on avait été enchanté du jeune prince de Parme, dont on ne se fatiguait pas de louer l’affabilité et la belle apparence. » On en avait été d’autant plus enchanté que, « sans qu’on sût pourquoi, l’opinion contraire s’était, jusque-là, répandue dans le public, de telle sorte qu’on avait été aussi surpris que ravi. » Metternich, cependant, ne parait pas s’être beaucoup ému de cet enthousiasme.

Tout au plus prit-il soin, dès le lendemain, d’interdire à la foule l’accès du parc de Schœnbrunn. Et aussitôt il se mit en quête de tous les moyens possibles pour réaliser le projet qu’il avait formé, et quiétait, comme l’on sait, d’effacer, de déraciner, d’anéantir à la fois chez

  1. In ein paar Jahren kœnnen wir diesen Kœnig von Rom als Bettelstudenten hier haben !