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enfance, on a ordre de lui répondre « qu’il ne sait tout cela que par ouï-dire, étant trop jeune pour pouvoir se le rappeler. » Mais bientôt Dietrichstein s’aperçoit que tous ses plans sont condamnés à rester inutiles aussi longtemps que l’enfant aura près de lui des personnes pouvant lui parler de la France et de son passé. Alors le gouverneur commence une lente série de manœuvres pour contraindre Marie-Louise à autoriser l’expulsion des gouvernantes françaises du prince, de l’excellente Mme Marchand, du petit Emile Gobereau, fils du valet de chambre de l’ex-impératrice. Et, quand enfin ce dangereux Emile (un gamin de six ou sept ans) quitte Vienne pour suivre Marie-Louise à Parme, Dietrichstein « ne se sent plus de joie. »

Désormais, le petit prince n’a plus, autour de lui que des Allemands. Il ignore ce qu’est devenu son père, et comme, un jour, Foresti n’a pu s’empêcher de lui parler de Napoléon, (dans le court entretien qu’on a lu plus haut), Dietrichstein, effaré, décide qu’à l’avenir on mettra plus de réserve encore à répondre à ses questions. Le pauvre enfant est obligé d’inventer des ruses vraiment incroyables pour parvenir à se faire répéter que son père a été empereur, et a gagné des batailles. Veut-il jouer au soldat ? On reconnaît là, avec épouvante, un réveil du sanguinaire démon napoléonien. Il ne peut jouer, ni causer, ni même rêver librement. Il est gardé avec tant de rigueur que, de 1815 à 1830, pas un seul étranger ne parvient à le voir autrement que de très loin, dans une loge de théâtre ou dans une allée du parc de Schœnbrunn. L’ambassadeur de Louis-Philippe, le général Belliard, lui aussi, ne parvient à le voir que de très loin. C’est seulement en 1828 que Dietrichstein se résigne à permettre que ses professeurs lui racontent, en quelques mots, l’histoire de son père, « victime d’une soif immodérée de conquêtes. » Le gouverneur écrit à Obenaus, que « entre autres choses, on fera bien de ne plus beaucoup tarder à exposer au prince l’histoire de son père. » Et il ajoute, tristement : « Quel dommage que je ne connaisse là-dessus aucun livre qu’il puisse lire sans danger, et qui ne risque point d’appeler trop de commentaires ! » Le duc de Reichstadt avait alors dix-sept ans, et venait d’être nommé capitaine aux chasseurs impériaux.

Certes, Silvio Pellico et les prisonniers du Spielberg étaient plus mal nourris, et traités avec moins d’égards, que le fils de Napoléon au château de Schœnbrunn. Et cependant je ne crois pas que le récit de leur captivité ait rien à nous offrir de plus pathétique que l’image de l’éducation du roi de Rome, telle que nous la font entrevoir les papiers de Dietrichstein cités par M. Wertheimer. Sous leurs chaînes, les