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l’entière discrétion du gouvernement américain, qui exerce sur eux un pouvoir absolu, sous la seule réserve de n’y pas tolérer l’esclavage, car le XVe amendement à la Constitution, adopté le 18 décembre 1865, stipule que « ni l’esclavage ni la servitude non volontaire ne pourront exister dans les États-Unis non plus qu’en aucun lieu, soumis à leur juridiction. »

Il n’est pas surprenant qu’une vive émotion ait accueilli l’exposé d’une pareille thèse. Ce ne sont pas seulement les Espagnols des Antilles ou les Tagals des Philippines, ce sont les Américains de l’Oklahoma, du Nouveau-Mexique ou de l’Alaska qui se trouvent soumis au pouvoir absolu du Congrès ; c’étaient naguère encore tous ceux de ces vastes régions à l’ouest du Mississipi qui n’ont été constituées en États que dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ainsi la Révolution américaine de 1776, faite pour supprimer en Amérique le régime du bon plaisir, n’aurait abouti qu’à l’y perpétuer pendant plus d’un siècle en transférant seulement au Congrès de Washington cette autorité sans limites, que s’arrogeait le Parlement de Westminster, et contre laquelle s’insurgeaient les aïeux de ceux qui prétendent l’exercer aujourd’hui.

Sans doute, ce pouvoir absolu qu’on lui attribue, le gouvernement américain n’en avait pas usé jusqu’ici ; il a toujours traité libéralement les pays qu’on prétend y être soumis ; mais, s’il leur a accordé ce traitement libéral par le seul effet de sa bienveillance, sans y être tenu, quelle est la garantie que sa politique ne changera pas ? Sa bienveillance ne peut-elle faire place à l’égoïsme et à la dureté ? L’homme qui n’a d’autre garantie que la bienveillance d’un autre homme ou d’une assemblée, dit très justement l’ex-président Harrison, est un homme privé de droits, un esclave. D’ailleurs le Parlement britannique n’avait pas non plus, pendant longtemps, fait montre de son autorité vis-à-vis des colonies américaines ; il les avait laissées se gouverner comme elles l’entendaient, se donner les institutions les plus libérales, jusqu’au jour où il lui plut de revendiquer son pouvoir absolu, et de la même façon que le fait aujourd’hui le Congrès américain, en établissant des contributions sans consulter les contribuables. Ainsi la thèse soutenue par le gouvernement de Washington est incompatible avec les principes les plus essentiels des institutions américaines. Qu’en torturant la lettre de la Constitution, on arrive à démontrer que celle-ci ne s’applique pas