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pourboires et gratifications distribués aux musiciens, chanteurs, sonneurs de luths, cithares, harpes, trombones, tambourins ou flûtes, que les autres ambassades sédentaires ou les grands seigneurs français envoient chaque jour exécuter, sous leurs fenêtres ou dans leurs salles, des aubades et sérénades. On ne jette guère moins de florins à des danseurs, bateleurs, escamoteurs. On aimait le bruit à Tours ; on y aimait aussi, et l’on y cultivait la bonne musique.

Sur ce dernier point, comme sur beaucoup d’autres, c’est encore notre Florio qui nous renseigne le mieux. Sa lettre de 1477 à Tarlati est une description complète de Tours. La véracité de l’écrivain, non plus que sa sincérité, ne peut être mise en doute. Florio est un étranger, de grande culture, un voyageur intelligent et expérimenté ; non seulement il a habité Florence et Rome, mais il a parcouru l’Asie et l’Afrique, réside trois ans à Paris. S’il a fini par se fixer à Tours, s’il a décidé d’y terminer sa vie, c’est qu’il n’a pu trouver de résidence plus agréable. D’abord, quel climat délicieux ! Nulle part de plus tièdes hivers, nulle part de meilleurs étés ! « Aucune eau plus pure ne cherche à rompre ses tuyaux dans les faubourgs de Home que celle qui, en Touraine, s’agite et murmure, sur les pentes, en ruisseaux diligens. Ici règne l’heureuse Cérés et, plus joyeux, le père Bacchus, par qui toute la contrée abonde en vins gracieux qui n’épaississent point le sang par leur lourdeur, ni ne dessèchent les humeurs par leur dureté1. Ici aussi viennent des fruits très sains, tels que les jardins des Hespérides, à mon avis, n’en sauraient porter de plus agréables, parmi lesquels il y a surtout une espèce de poires qu’on appelle Bon Chrétien, à cause de son excellence, d’une telle beauté, d’une telle suavité, de quelque façon qu’on les mange, soit crues, soit cuites, qu’elles nous donnent une idée de la bonté des fruits du Paradis. Ce fruit, parmi toutes les poires, est le plus grand et le plus durable, et si particulier au sol tourangeau que si, partout ailleurs, on le greffe ou le plante, ou le fruit ne vient pas du tout, ou il est tout à fait dégénéré. »

Notre Florentin, on le voit, ne dédaigne pus les petites joies de la bouche ; il aime plus encore les grandes joies de l’art, celles qu’on reçoit par les yeux et les oreilles. Comme beaucoup de ses compatriotes, c’est un amateur libre et avisé, très éclectique ; sa curiosité est insatiable et universelle. Lorsqu’il va faire un tour