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les trois personnes de la Trinité dans le Couronnement, le Saint Paul sur le chemin de Damas, le Saint Jacques Majeur, tendant son cou au bourreau, le Saint Jean à Pathmos, le Saint Nicolas recevant la mitre, le Saint Hilaire présidant un concile, le Saint Thomas d’Aquin enseignant, le Job écoutant ses amis, les porteurs du cercueil d’Etienne Chevalier, dans les Funérailles, ne perdraient rien à cette transposition, car ce sont de véritables personnages de fresque ; il n’y a pas beaucoup de compositions murales, en cette admirable Italie, présentées avec plus de force, de décision et de grandeur.

Quoi qu’il en soit, sans s’attarder en d’inutiles regrets ou des suppositions actuellement dépourvues de preuves, prenant Fouquet, tel qu’il se présente, avec l’ensemble de ses œuvres arrachées à l’oubli, nous devons reconnaître en lui un grand artiste. C’est l’un des plus complets et des plus originaux qu’ait produits le XVe siècle ; c’est l’un de ceux qui ont dégagé, avec le plus de hardiesse et de prudence à la fois, l’art nouveau de l’art du Moyen Age, sans rupture violente, sans affectation révolutionnaire, par le simple développement des qualités du passé sous l’action d’un amour plus intense et plus éclairé de la nature et de la vie. Pour nous, Français, il représente, le premier, à l’aurore de la Renaissance, dans la peinture, le génie national, se développant el se complétant au contact d’un art étranger, avec cette facilité d’assimilation qui fut toujours et devait devenir plus encore le caractère de notre race et de notre civilisation, mais sans y rien perdre de son indépendance nécessaire, de ses énergies natives, non plus que de ses traditions séculaires.

Il suffit, d’ailleurs, pour comprendre son mérite, d’énumérer les qualités indigènes qu’il sut, du premier coup, mettre en œuvre et en lumière, que les artistes postérieurs, durant la période Halo-classique, ont le plus souvent laissé perdre ou insuffisamment reprises, et que, depuis deux siècles, nos peintres ont tant de peine à ressaisir. Compositeur, portraitiste, peintre de mœurs, paysagiste, Fouquet attendra longtemps des successeurs. Avant Poussin et Lesueur, qui donc se souciera, chez, nous, de renouveler les sujets légendaires, religieux et profanes, par l’étude des sources historiques et littéraires, l’observation de la vie réelle, l’expression plastique, intellectuelle, morale, sentimentale ou passionnée des personnages en scène ? Dans le portrait, les Clouets, si fins, si délicats lorsqu’ils analysent des