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Président Washington lui demanda son avis sur l’interprétation du traité de 1778 avec la France, les juges déclinèrent cette offre[1]. » Grâce à cette réserve, à cette discrétion, à cette sagesse, la Cour Suprême a donc presque toujours évité les conflits. Il y a bien eu quelques froissemens, quelques tiraillemens ; mais ce ne sont que des exceptions : la règle a été la correction et la confiance réciproques : une vraie collaboration dans un intérêt supérieur.

Comme elle se comportait envers l’exécutif, la Cour Suprême s’est comportée aussi envers le législatif ; et le législatif aussi l’a payée de retour : avec lui aussi, on peut dire qu’elle a vraiment collaboré : « Vous m’objectez, disait un représentant au Congrès, qu’en adoptant le bill qui nous est soumis, nous l’exposons à être infirmé par le pouvoir judiciaire des Etats-Unis, qui peut le déclarer contraire au pacte fondamental, par conséquent nul, et se refuser à en poursuivre l’exécution. Cette objection ne me trouble pas. Le contrôle des tribunaux ne m’inspire qu’orgueil et confiance; il me rend plus libre pour traiter toutes les questions débattues ici. Je réfléchis que, si, par inadvertance, par manque de précision ou par quelque autre défaut, je volais de mauvaises lois, nous avons un pouvoir institué pour empêcher l’exécution de lois préjudiciables à nos commettans… Notre gouvernement se fait gloire de fournir le remède aux erreurs des assemblées législatives elles-mêmes[2]. »

Telle est, dans la règle, l’attitude de l’exécutif et du législatif vis-à-vis de la Cour Suprême, aussi bien que de la Cour Suprême vis-à-vis de l’exécutif et du législatif. Chacun chez soi et tous pour tous. Cependant ce grand corps, on ne peut le cacher, a son point vulnérable. Les juges à la Cour Suprême sont nommés par le Président des Etats-Unis. Or, le Président est l’homme d’un parti, et il est porté à choisir des hommes de son parti. Mais, heureusement, ce corps de la Cour Suprême est si grand que ses membres, dès qu’ils en sont membres, vivent de sa vie à elle plus que de la leur propre, et le juge, en eux, tue l’homme, autant que l’homme peut jamais se tuer dans l’homme. Arrivés là, ils sont de plus sans crainte et sans espoir. Nec spe, nec metu. Sans espoir, parce que, comme le dit M. James Bryce, ils ont atteint « le sommet de l’arbre et ne peuvent grimper plus haut. »

  1. James Bryce, ouvr. cité, t. I, p. 374-376. — Cf. Noailles, p. 594.
  2. Duc de Noailles, p. 597.