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VÉRONE


I. — CRÉPUSCULE


Du violent et du voluptueux couchant
Qui comme en cuivre a cuit les briques et les tuiles,
S’étend sur l’eau mouvante et les monts immobiles
Un nuage effrangé, qui fige au ciel son sang.

Vérone ! sur tes toits quelque obscure colombe
Roucoule, et dans la pierre ardente cherche un cœur !
Et, dans tes jardins noirs qu’enivre une âpre odeur,
L’ombre des longs cyprès aux fleurs creuse une tombe.

Sous tes murs peints d’or jaune et d’un ocre orangé,
Quand la haine et l’amour ont confondu leurs lèvres,
Le soir au souffle fauve a frémi de leurs fièvres
Et d’un mortel désir en est resté chargé.

Ton fleuve en sait l’ivresse et la langueur muette ;
Car il coule et reflète encor le même amour
Et bat l’arche du pont crénelé d’un flot lourd,
L’Adige rouge et vert, où pleura Juliette !


II. — COUR DES SEIGNEURS


Ce vieux puits… cette cour… ce grand escalier blanc…
Sur les marches, qui donc semble attendre en tremblant ?

Un ramier gris, qui rêve et roucoule, déploie
Son aile, et son frisson fait un doux bruit de soie,

Comme si quelque étoffe, ou brocart, ou lampas,
Bruissait sur la dalle en étouffant des pas.

La lune a les lueurs perfides d’une opale :
Chaton d’un morne anneau, formé pour un doigt pâle.

Tout n’est-il pas atteint d’un mystérieux mal ?
Une musique triste et tournante de bal