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A Versailles, ce 28 mai (1759).

« Je vous envoye, mon cher Hermitte, toute votre affaire aussi bien que nous avons pu la consommer ; je crois qu’il serait plus aisé de raccommoder le roi de Prusse avec l’Impératrice que de faire sortir des blés de France ; mais j’ai pris mes précautions avec M. de Joly de Fleury[1], qui m’a promis, ainsi qu’au Roi, qu’il donnerait toutes les permissions que vous demanderiés à ce sujet. Si il me manquait de parole vous m’en informeriés et, quoique je n’aye pas grand crédit sur la robe et sur les fermes, j’employerai tout, celui que je peux avoir pour vous satisfaire. Votre ode Sur la Mort de la Margrave paraît ici ainsi que la lettre qui la suit ; cette lettre vous fera des ennemis puissans, et j’aurais mieux aimé qu’elle ne fût pas imprimée, mais il ne faut pas craindre les choses faites. L’ode contre le roi de Prusse restera dans le plus profond secret tant que la sienne ne paraîtra pas ; ce n’est ni moi, ni Chauvelin qui l’avons faite, j’en ai donné la matière et quelques vers, un de mes amis[2] a composé le remplissage ; je ne la trouve pas trop bonne, parce que je n’ai jamais trouvé une ode bonne, mais elle a le mérite de peindre avec vérité mes sentimens sur le roi de Prusse et le peu de crainte que me cause son prétendu héroïsme. Si le Roi me le permet, je vous assure que je lasserai très prompte nient le courage de ce héros, ce sera alors que le masque tombera, il ne restera que le moral de la plus vilaine Ame qui ait jamais existé. Adieu, mon cher hermite, écrivez-moi les nouvelles que vous aurés du Salomon du Nord, assurés de mes respects Mme Denis et regardés moi comme votre serviteur. »


Les reproches que formule Choiseul au sujet de la note accompagnant l’Ode sur la mort de la Margrave, étaient motivés par ce fait que Voltaire saisissait toutes les occasions, même celles qui semblaient le moins opportunes, pour soutenir ses idées et affirmer ses doctrines. Le 14 octobre 1758, la margrave de Bayreuth, sœur de Frédéric II, était morte et Voltaire avait été chargé par le monarque de conserver au monde, dans une ode dithyrambique, le souvenir de la princesse dont il glorifia

  1. Alors intendant de Bourgogne, province dont Ferney dépendait juridiquement.
  2. Palisson