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antique et noble château sur la porte duquel il y avait une devise qui disait : A force d’aller mal, tout ira bien. Meuse était de mes parens ; je n’ai point sa terre, mais j’ai conservé sa devise ; elle est applicable au temps, sans quoi amis et ennemis, pénétrés de remords des maux qu’ils causent à la terre, devraient s’aller jetter la tête la première dans la prochaine rivière.

« La lettre de Luc, que vous m’avés envoyé et dont je vous remercie, est du même style que ses précédentes ; il y joint la jactance allemande aux anciens sentimens espagnols, maures, grenadins. J’ai de la propension à croire que ce preux chevalier ressemble à ceux qui chantent dans la rue pour s’étourdir sur leur peur. Il n’y a dans toute sa lettre qu’un trait naturel, qui est quand il dit qu’il a affaire à des bêtes ; ma foi, rien n’est si vrai, mais, tout bêtes qu’ils sont en particulier et en général, ils doivent à la longue abbatre une puissance qui n’a pas de consistance par elle-même. Si Luc veut y réfléchir, il conviendra que le 13 d’août, si ses ennemis l’avaient voulu, le paladin et sa puissance était à terre et que la bataille de Minden, le combat de Cadix et la prise de Québec ne lui auraient pas procuré un tronçon de lance, ni un pouce de terre. Au lieu qu’une bataille gagnée contre la maison d’Autriche, la France et la Russie ne détruira pas des empires qui ont une consistance réelle. Ceci ressemble à la dispute d’un charlatan contre trois bons médecins ; il est possible que le charlatan guérisse le malade ; alors il aura une réputation momentanée, toujours avec les réflexions des gens sensés qu’il est un charlatan ; si son remède manque, il sera décrié et tombera comme de raison dans le mépris ; au lieu qu’il est mort bien des malades entre les mains de Boerave[1], cependant sa réputation et l’estime publique qu’il s’est acquise n’en est pas moins solide. Le roi de Prusse est le charlatan de l’Angleterre. Je ferai encore une comparaison, car je suis en train : le roi de Prusse ressemble à un joueur qui aurait pour toute fortune mille louis et qui les jouerait contre M. de Montmartel[2] et les fermiers généraux ; si il joue mieux pendant un tems à hazard égal, il gagnera gros, surtout lorsqu’il doublera toujours son jeu du produit de son gain ; il parviendra à incommoder même les fermiers généraux ; mais, si Montmartel et la ferme s’obstinent à jouer, il arrivera un coup heureux et le joueur

  1. Boerhaave, le célèbre médecin hollandais.
  2. Paris Montmartel ; garde du Trésor royal.