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de Prusse reste au roi de France, Choiseul avoue que le parti lui paraît dangereux, si dangereux même qu’après l’échec des conférences de la Haye, à la veille d’une nouvelle campagne, il écrit lettres sur lettres pour engager Voltaire à persuader à Frédéric qu’il était perdu, lui Frédéric, s’il ne faisait pas la paix et s’il n’insistait pas auprès de l’Angleterre afin qu’elle réduisît ses prétentions.


Ce 14 janvier (1760),

« Luc, sans généraux, sans vertus, sans conduite, cédera tôt ou tard à la toque bénite[1] et, quand cela sera fait, qui le relèvera ? Ce ne sera pas la France, encore moins l’Angleterre. Il faut que Luc soit fol à mettre aux petites maisons de Vienne, si il ne fait pas l’impossible pour engager l’Angleterre à faire la paix cet hyver ; car, sans cette paix, qu’arrivera-t-il ? Que la France fera la guerre, que, la faisant avec désavantage sur mer, elle tâchera de s’en dédommager par des efforts sur terre, qu’elle sera forcée de se lier plus fortement pour cet objet avec la Russie et Vienne, que Luc sera anéanti, parce que sa puissance n’est pas une puissance de consistance, que nous ne ferons pas toujours les mêmes fautes et que, Luc terrassé, chacun cherchera à s’accomoder et pensera à se mettre en système sans songer à l’acteur que l’on aura ôté de la scène. Je pense en honneur et en vérité ce que je vous mande ; mais je vous prie de ne le lui pas écrire ; il m’a joué le tour d’envoyer en Angleterre la lettre que je vous ai écrite en été[2] ; de là elle a fait plus de chemin, car la nouvelle m’est venue par Pétersbourg ; j’aurais quelques petits reproches à vous faire, de confier des lettres que je vous écris d’amitié, et sans trop faire d’attention à ce qu’elles contiennent, et de les confier à qui, à quelqu’un qui mésuse de la liberté qui doit régner dans ces sortes de lettres au point de les envoyer en Angleterre et en Russie. Je ne désavoue jamais ce que je dis ou ce que j’écris, parce que j’espère ne rien dire de malhonnête ; mais cependant je ne connais pas assés l’impératrice de Russie pour avoir la confiance que l’on lui communique toutes les lettres d’amitié que je peux vous écrire. Cette aventure m’a dégoûté absolument ; elle est déplaisante, elle ne

  1. Le maréchal autrichien Daun, auquel le pape Clément XIII avait envoyé une toque et une épée bénites après la bataille de Hochkirchen.
  2. Nous ne connaissons que celle du 6 juillet 1759, publiée plus haut.