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vallée sur le Milanais, le fort Fuentès. Cela se passait en 1603.

Les Grisons connaissaient bien l’importance de la vallée dont ils étaient les suzerains. L’eussent-ils ignorée, que les hautes compétitions qui se disputaient l’alliance de ces « Honorables Seigneurs » la leur eussent enseignée. Depuis le temps où les rois de France avaient commencé de recruter des soldats en Suisse, c’est-à-dire depuis le temps de Charles VII et de Louis XI, ils avaient des relations particulières avec les Grisons. En 1509, une alliance formelle avait été conclue, à Crémone, avec les Trois Ligues Grises. Pendant les guerres d’Italie, nos rois avaient apprécié tout particulièrement l’importance de cette entente traditionnelle qui leur assurait, à la fois, un excellent recrutement pour leurs armées et le privilège exclusif du précieux passage. La France est, de tous les pays de l’Europe, le plus intéressé à la neutralité suisse. Rien ne lui est plus précieux que l’amitié de ces montagnards qui forment la plus solide de toutes les gardes alpines. Aussi l’argent français se répandait-il, comme une manne annuelle, parmi ces populations très pauvres ; les traités avaient été renouvelés avec soin, et, après une courte interruption sous Henri III, ils avaient été renoués par Henri IV, à Soleure, en 1602.

Les Italiens n’étaient qu’à demi satisfaits d’une combinaison qui livrait à un prince étranger, puissant et entreprenant, les clefs de la maison : Venise surtout, dont la politique avait de la mémoire, n’oubliait pas les temps du roi Louis XII qui l’avait mise à deux doigts de sa perte. Elle travaillait obstinément, depuis un demi-siècle, à s’assurer la domination d’une vallée qui était comme un pistolet braqué au cœur de la République. Venise avait un autre intérêt non moins considérable. Posée sans défense et sans territoire sur la rive Adriatique, enveloppée de toutes parts par les possessions de la Maison d’Autriche et de la Maison d’Espagne, elle se sentait en grand péril. Quoique toujours catholique, elle représentait, en Italie, l’opposition à l’Espagne et à la Papauté, de même qu’elle représentait, en Europe, l’idée républicaine et le libéralisme. Or, ses lagunes, son port, sa flotte, ses palais, ses richesses, sa prudente et dangereuse propagande libérale, tout était à la merci d’un coup de main.

En cas de péril, elle n’avait qu’une ressource ; faire appel aux Suisses et aux protestans du Nord et de la Hollande : car la France, elle-même, n’était pas une amitié sûre pour elle. Mais le