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la scène entre Wotan et Mime. On sait que dans Siegfried, le Jupiter du Nord a pris le nom et le costume d’un mystérieux pèlerin (der Wanderer, le Voyageur). Il n’est plus un personnage agissant, mais « agi, » dominé par les événemens qu’il créait et dirigeait naguère. Il les subit désormais, surtout il les raconte et par surcroît il se les fait raconter. Son dialogue avec Mime ne consiste que dans une interrogation respective, un examen réciproque sur la métaphysique et la mythologie de la Tétralogie. « Mime interroge le premier : « Quelle race habite sous la terre ? » Wotan répond : « Les Nibelungen. » Suit l’histoire du Nibelheim. — « Quelle race habite sur la terre ? — Les Géans. » — Suit l’histoire de Fafner. — « Quelle race habite dans le ciel ? — Les Dieux. » — Suit l’histoire de Wotan. A son tour le voyageur interroge[1]… » Tout cela, c’est le Rheingold rappelé. Plus tard, dans la première scène du troisième acte, entre le Voyageur et la déesse Erda, ce sera la Götterdämmerung annoncée. Qu’arrive-t-il alors ? De deux choses l’une : ou nous assistions avant-hier au Rheingold, nous entendrons demain la Götterdämmerung, et nous savons et nous saurons tout cela ; ou Siegfried seul nous est offert, et nous n’avons besoin d’en rien savoir. Tout cela, c’est l’inutile et l’encombrant appareil ; c’est le poids mort sous lequel ploie Siegfried, et qui çà et là menace de l’écraser.

D’autres passages ne sont pas moins cruels : au second acte, la conversation d’Alberich et de Wotan, la querelle de Mime et d’Alberich, et même et surtout la rencontre héroï-comique, plutôt comique, de Siegfried et du dragon Fafner. La chose est, paraît-il, renouvelée des Grecs et de leur nome pythique. Vous n’êtes pas sans ignorer que Timosthène, entre autres, amiral de Ptolémée II Philadelphe, avait mis en musique le combat d’Apollon contre le serpent Python. Au dire de Strabon, de qui nous tenons ces détails, l’auditeur croyait assister aux préparatifs du combat, aux premiers engagemens, puis au combat lui-même ; entendre les acclamations qui suivent toute victoire et même, « tant l’imitation des instrumens était parfaite, » les derniers râles du monstre mourant. Mais la symphonie de Timosthène avait cet avantage qu’elle était purement instrumentale. Elle épargnait à l’auditeur la vue du monstre lui-même. Celui-ci, à l’Opéra comme à Bayreuth, ne saurait être qu’une machine grossière autant que ridicule, dont l’exhibition et le concours gâteraient la plus belle musique du monde. Et telle n’est pas ici la musique de Wagner. Elle ne l’est pas non plus toujours dans les scènes que nous venons de rappeler. Il y

  1. MM. Soubies et Malherbe, op. cit., p. 186.