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Toute la polémique du parti protestant, les revendications béarnaises, plus ou moins fondées en droit ou en fait, l’agitation soulevée autour de cette question par les intérêts généraux ou particuliers, tout devait se heurter à ce parti pris. Sur ce point, l’opinion, en France, était ferme comme un roc : on ferait l’Unité.

Le clergé eut l’habileté de joindre la cause du catholicisme à celle du patriotisme. Il s’empara du mouvement de l’opinion et le fit servir à ses desseins. Les violens du parti protestant, au contraire, ne voulurent pas comprendre qu’ils mettaient contre eux l’instinct national. Au fond, ils avaient le goût de la rébellion. Le vent qui venait de Hollande et d’Allemagne leur tournait la tête et leur gonflait le cœur. Un historien du temps le dit, parmi cent autres : « Ces gens se mettaient en degré de souveraineté contre le Roi ; ils croient que toutes choses leur sont licites. Si le Roi fait un arrêt, ils en font un autre. Il n’y eut jamais de rébellion plus apparente. » Une fois lancés dans cette direction, ils sont perdus. Une lettre très importante et très nette, qu’un homme pondéré, s’il en fut, faisant profession de tolérance, ennemi déclaré des Jésuites, Estienne Pasquier, écrivit sur le sujet, nous donne exactement la pensée de tout ce qui avait le souci réfléchi du bien public, à cette époque : « À en parler rondement, cet État formé dans l’État est un prodige en France. C’est félonie qu’une poignée de sujets donne la loi… En ce mouvement, il ne s’agit pas du fait de religion, mais de l’obéissance… Dès l’heure que je vis qu’à l’assemblée de Saumur, ils dressèrent des Conseils en chaque province pour délibérer de leurs affaires,… je dis à plusieurs personnes de qualité de la Religion qu’ils bâtissaient une République en notre monarchie laquelle, tôt ou tard, produirait leur ruine. »

Plus on confondait l’affaire du Béarn avec la cause des réformés, plus on compromettait l’une et l’autre, et les protestans de France les confondaient avec ostentation.

Cependant, malgré les sollicitations des évêques, malgré la passion de l’opinion, malgré la tension et l’exaspération croissante de part et d’autre, le gouvernement hésitait toujours. Il sentait bien qu’il jouait une partie bien dangereuse en risquant de faire renaître les guerres de religion. Dans les derniers temps du ministère Barbin, sur un arrêt rendu par le Conseil d’État, Mangot avait préparé ledit de réunion du Béarn à la Couronne. Au dernier moment, on avait sursis.