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III

Nous venons d’exposer la situation actuelle des voies navigables allemandes et de leurs rapports avec les chemins de fer. Il nous reste à parler du projet de canaux que le gouvernement prussien a récemment essayé de faire aboutir et qui a échoué par deux fois devant la résistance du Parlement.

Pour comprendre à la fois les causes de cette tentative et celles de son insuccès, il faut remonter à vingt-cinq ans en arrière, à l’époque où M. de Bismarck orienta la politique économique du pays simultanément vers le régime protectionniste et vers le rachat des chemins de fer.

Le rachat eut pour conséquence de faire cesser la concurrence qui existait entre les chemins de fer privés, principalement dans les provinces du Rhin et de la Westphalie où de nombreuses compagnies étaient en présence. Les grosses industries, qui bénéficiaient de cette compétition sous forme de tarifs réduits et de diverses facilités de transport, se virent privées d’une partie de leurs avantages ; de plus, l’unification des tarifs, qui suivit le rachat, ne put se faire sans entraîner des relèvemens au préjudice de certains industriels qui étaient autrefois particulièrement favorisés. Les intéressés se tournèrent alors vers la navigation, et songèrent à substituer cette concurrence nouvelle à l’ancienne et à obtenir ainsi les réductions de tarifs que le chemin de fer leur refusait.

La même pensée était venue aux négocians importateurs. Dès la fin de 1870, les tarifs d’importation avaient été supprimés sur les chemins de fer privés. En protestant contre cette mesure, les compagnies prédirent qu’elle aurait pour conséquence de livrer le trafic d’importation aux voies navigables, ce qui ne tarda pas à se produire. Sur l’Elbe autrichien, jusqu’alors désert, le trafic se développa subitement d’une façon extraordinaire. Un grand port de transit fut établi à Tetschen par les soins du chemin de fer Nord-Ouest autrichien et de la Compagnie de Navigation autrichienne du Nord-Ouest. Les importations autrichiennes par cette voie s’élevèrent de 743 000 tonnes, en 1875, à 1 681 000 tonnes, en 1883, et à 2 804 000 tonnes, en 1890. La même situation se produisit sur le Rhin, et, se joignant à celle que faisait à l’industrie le rachat des réseaux privés, détermina en faveur de