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coïncidant avec l’abaissement des péages qu’elle ne l’était dans la situation inverse. Finalement, une partie du déficit retombera à la charge des contribuables, qui fourniront de leurs deniers, à un petit nombre d’intéressés, le moyen de faire transportera prix réduit leurs marchandises par voie d’eau.

Cette conséquence en aura une autre, non moins singulière. Dès le début de leur exploitation, les nouvelles voies navigables vont faire aux chemins de fer de l’Etat une concurrence qui se traduira pour ceux-ci par une perte estimée dans le projet de loi à environ 80 millions par an, somme que, dans son désir de faire aboutir le projet, le gouvernement a probablement évaluée au-dessous de la réalité. Or, le produit net que ces chemins de fer donnent actuellement sert à couvrir non seulement l’intérêt du capital employé à leur construction, mais une partie des dépenses générales du budget[1]. Il faudra donc recourir à l’impôt pour compenser ce déficit, et le paysan de Thuringe ou de Silésie, qui ne bénéficie d’aucune voie navigable, paiera à la fois pour la construction de ces voies et pour la concurrence qu’elles font au seul moyen de transport qui pénètre jusqu’à lui.

Il faut une singulière aberration pour ne pas voir ces conséquences inévitables du projet. Que dirait-on, si le ministre des Travaux publics proposait la concession à une compagnie privée d’un chemin de fer allant du Rhin à l’Elbe, desservant les principales villes de l’Allemagne, relié aux ports belges de la Mer du Nord, c’est-à-dire outillé d’une manière formidable pour faire concurrence au réseau de l’Etat ? On douterait de son bon sens. Et cependant il fait bien pis encore, car, cette ligne concurrente, il propose de la subventionner aux frais des contribuables, de manière qu’elle puisse percevoir des prix plus réduits que ceux des chemins de fer de l’Etat.

Pour faire accepter cette énormité, le gouvernement déclare que les chemins de fer de la Ruhr sont devenus absolument insuffisans pour le trafic qu’ils ont à desservir. Cette raison est probablement aussi inexacte que le reste. Le même ministre qui la donne aujourd’hui disait, en 1894, à la Commission chargée de l’examen du projet de canal de Dortmund au Rhin (projet qu’il combattait alors) : « Les chemins de fer ont jusqu’ici

  1. En 1900, ces dépenses générales ont été couvertes jusqu’à concurrence de 430 millions par le produit des chemins de fer, après paiement de l’intérêt du capital d’établissement.