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profite à la généralité des contribuables. Ainsi, celui qui fait faire un transport par eau en paie une partie immédiatement, une autre plus tard, et fait acquitter le solde par ses concitoyens ; celui qui remet un transport au chemin de fer en paie tout de suite le prix intégral et fait, en outre, cadeau d’une part d’impôt aux autres contribuables[1].

Toute l’économie prétendue de la voie navigable réside dans cette différence, que l’on masque soigneusement au public en équivoquant sur la définition du prix de transport. En réalité, la voie la plus économique est celle qui couvre tous ses frais avec les prix de transport les plus réduits. Dans ces conditions, l’avantage est incontestablement en faveur des chemins de fer. La démonstration technique en a été faite bien des fois[2], en considérant les divers élémens du prix de revient kilométrique et en tenant compte de ce que la longueur du parcours entre deux points donnés est en général notablement plus grande par eau que par voie ferrée, en raison des détours que subit le fleuve ou le canal (la différence atteint 24 pour 100 pour le trajet de Hambourg à Dresde, 44 pour 100 pour celui de Hambourg à Berlin, 43 pour 100 pour celui de Breslau à Stettin). Mais la meilleure preuve est que, de l’aveu même des représentans de la navigation, elle serait incapable de subsister, si l’Etat lui appliquait intégralement, sous forme de péages, les charges de l’établissement et de l’entretien des voies navigables. Par une contradiction trop rarement mise en relief, ce sont les mêmes écrivains qui présentent la navigation comme le mode de transport le plus économique et qui affirment que ce serait la tuer que lui imposer un péage de quelque importance.

Dans ces conditions, est-on fondé à attribuer au projet de canaux un caractère d’utilité publique ? C’est à un des partisans

  1. Remarquons que la situation est la même en France, ou les compagnies de chemins de fer procurent à l’État, sous forme d’impôts et d’économies sur le transport de la poste, des militaires, etc., un bénéfice annuel d’environ 240 millions. Il est vrai que certaines de ces compagnies font appel à la garantie d’intérêts. Mais, déduction faite du montant de cet appel, qui ne constitue d’ailleurs qu’une avance remboursable avec intérêts, le bénéfice de l’État a été encore, en 1901, de plus de 220 millions, somme qui excède l’intérêt des dépenses qu’il a faites pour subventionner les lignes secondaires desservant les parties pauvres du territoire.
  2. Citons notamment, en Allemagne : Cohn, Système d’économie politique ; Von Borries, Journal des ingénieurs allemands, 1894 ; Ulrich, Tarifs différentiels et voies navigables ; en France : Picard, Traité des chemins de fer ; Colson, Transports et tarifs ; Leygues, Chemins de fer, notions générales et économiques, etc.