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plus ardentes convictions. L’homme qui se brise au premier choc et qui ne sait rien endurer est comme un ressort de mauvais acier.

Si vous aviez ma foi, je vous dirais bien d’autres choses encore, et vous comprendriez ce que le culte du Christ peut mettre au cœur d’un homme en fait de patience, de calme et d’inaltérable sérénité. Mais vous êtes assez perspicace pour le pressentir.

Malgré les oppositions redoutables que je rencontre, je crois plus fermement que jamais à l’évangélisation de nos sociétés modernes, et l’épreuve qui pèse sur moi à cette heure, loin d’affaiblir ma foi, la grandit et l’éclairé.

Je ne sais combien de temps je jouirai de la belle solitude de Corbara et des grands horizons qui m’entourent. Mon général m’a envoyé là, sans me fixer l’époque de mon retour, et je n’ai rien demandé.

Cependant, rassurez-vous, je ne suis pas perdu pour les amis, et il ne faut point pleurer sur moi comme sur un mort. Je suis convaincu que mon séjour ici ne dépassera pas quelques mois… Il est vrai que quelques mois, c’est bien long, loin des amis et de la patrie.

Du reste, à la garde de Dieu ! Je suis dans les mains de cette mère qui s’appelle la Providence ; elle m’a conduit ici, elle m’en ramènera… quand elle le voudra. Je suis prêt pour les combats nouveaux.

Adieu, cher ami… Ah !… j’oubliais de vous dire comment je vis… comme un chartreux. Le couvent est dans une solitude délicieuse, entouré de petites montagnes à la crête rocheuse et âpre. Elles forment un cercle échancré du côté de l’ouest : par là, on voit la mer, et, aux beaux jours, l’œil du patriote découvre les cimes blanches des Alpes maritimes. Je regarde de ce côté. On mange, à la façon italienne, beaucoup de pâtes, et on boit du petit vin corse. Avec tout cela, on n’est pas un prisonnier bien à plaindre. Je vous serre les deux mains avec une tendre amitié.

Mille complimens à tous les vôtres. Je bénis les deux petites filles.


Corbara, 9 juillet 1880.

Mon cher ami,

Rien de nouveau dans ma solitude et mon exil. Les décrets du 29 mars nous ont respectés jusqu’à ce jour, et il est probable que